vendredi 28 mars 2008

L’Aile ou la cuisse (1976)



Un soir de 1975, Claude Zidi dîne avec des amis au Petit Colombier. « Le garçon me demande à propos d’un poulet : « L’aile ou la cuisse ? » J’ai trouvé que ça ferait un bon titre de film. Avec des amis, nous avons lancé la conversation sur le guide Michelin et sur la ‘malbouffe’ qui commençait à sévir. Ainsi sont nés Duchemin et Tricatel, amalgame entre Borel, l’inventeur des restoroutes, et Ducatel, candidat farfelu aux présidentielles. » Zidi écrit le scénario avec Michel Fabre et rêve de donner le rôle du gastronome Charles Duchemin à Louis de Funès. Mais victime d’une crise cardiaque le 21 mars 1975, alors qu’il devait débuter le tournage du « Crocodile » de Gérard Oury, l’acteur est depuis en convalescence. Affaibli, diminué, amaigri, la rumeur court selon laquelle il ne tournera plus.

Mais le producteur Christian Fechner, alors âgé de 33 ans, en décide autrement. « Pour moi, il était inenvisageable qu’il ne tourne plus et puis j’attendais depuis trop longtemps de tourner avec lui, c’était mon rêve de producteur. Et bien que le médecin des assurances ne nous ait laissé aucun espoir, je suis allé voir le grand patron des assurances de l’époque. Comme j’étais assez jeune et assez inconscient, je l’ai un peu agressé en lui disant qu’il ne pouvait pas décidé comme ça, du jour au lendemain, qu’un homme tel que De Funès ne tournerait plus jamais ! » Il n’obtient que deux semaines de tournage d’assurées, mais cela suffit pour lancer la machine. Zidi ne sera payé que si le film est terminé et les techniciens acceptent de signer des contrats renouvelables de semaine en semaine.

Assez tôt sur le projet, le rôle du fils de Duchemin est destiné à Pierre Richard, avec qui Zidi a déjà tourné « La moutarde me monte au nez » et « La Course à l’échalote ». Mais un mois et demi avant le début du tournage, l’acteur rompt son engagement. « J’ai été déçu par mon rôle, expliquera-t-il plus tard. J’ai senti que si j’acceptais, j’aurais eu l’impression d’aller à l’usine. Et Dieu sait que j’avais envie de tourner avec De Funès ! Mais si le rôle ne me dit rien, je ne peux pas, même si c’est un coup commercial énorme. (…) Louis m’a téléphoné et m’a demandé pourquoi je refusais. Je lui ai répondu que je me faisais une joie de tourner avec lui, mais que je ne voulais pas interpréter ce rôle. Et il me dit « ah bon, le scénario est mauvais ? » Là, je me suis dit qu’il n’avait pas dû le lire. Parce que lui, il savait qu’il se débrouillerait toujours, quelque soit la qualité de la scène, grâce à son talent énorme. Moi je n’avais pas cette faculté. Pour faire rire, j’ai besoin d’une situation. Je ne suis pas capable de lire le bottin en faisant rire. »




Il faut donc lui trouver un remplaçant et Zidi pense rapidement à Coluche, à qui il a donné un petit rôle dans « Le Grand Bazar » en 1973. Le comique triomphe alors sur scène et il n’a jusqu’à présent partagé d’autre affiche que celle des « Vécés étaient fermés de l’intérieur » de Patrice Leconte. Coluche est aux anges, car il vénère Louis de Funès. Reste à convaincre ce dernier. « Je me suis rendu dans son château, près de Nantes, se souvient Claude Zidi. Là, je suis tombé sur sa femme. Sceptique, elle trouvait Coluche vulgaire. Puis arrive De Funès, qui hésite. Surgit alors son fils Olivier qui « emballe » l’affaire : « Ce serait formidable ! Et puis, papa, il est plus drôle que toi ! » » (rires)

Coluche amène avec lui sa « bande », parmi lesquels Martin Lamotte, Gérard Lanvin, Bouboule, Marie-Anne Chazel (tous quatre membre du cirque) et Bruno Moynot (le responsable du tourne-disques). De son côté, Louis de Funès impose Claude Gensac contre l’avis de Claude Zidi qui l’affuble de grosses lunettes et d’une perruque (pour qu’on ne l’assimile pas immédiatement à « la femme de De Funès »). Des partenaires de connaissance comme Dominique Davray (son épouse dans « Le Tatoué »), Max Montavon (le majordome dans « Fantômas contre Scotland Yard ») et Marcel Dalio (le « vrai » Rabbi Jacob) complètent la distribution des seconds rôles tandis que Julien Guiomar interprète avec truculence Jacques Tricatel (le rôle le rendra très populaire : « Je ne peux pas rentrer dans un restaurant sans qu’on me dise ‘J’espère que ça sera meilleur que chez vous, monsieur Tricatel’ ! (rires) »).

Le tournage débute en mai 1976 dans un hangar aménagé près de Trappes car aucun des studios parisiens n’est disponible. Une ambulance et un cardiologue sont là en permanence au cas où… Les journées de travail commencent à 9 heures pour se terminer tôt dans l’après-midi, afin de ménager la star. « En vérité, tout était permis, raconte Fechner. Il fallait éviter d’user et d’abuser du fantastique tempérament de Louis, ne pas lui faire répéter trente-six fois la même scène, trente-six fois les mêmes colères. Bref, il fallait une extraordinaire préparation d’avant-tournage. Je savais qu’avec Zidi, il n’y aurait pas de problème et rien à craindre… »

Les relations entre De Funès et Coluche sont excellentes, ils apprécient de se faire rire l’un l’autre (une scène de cirque où ils sont tous deux maquillés en clowns sera coupée au montage). La mort est même devenue un gag entre eux. « Quand parfois j’arrivais en retard à un rendez-vous, se souvient Coluche, et le priais de m’excuser, j’avais une phrase toute prête à son intention : « Louis, je ne me pensais pas en retard. Je n’avais pas vu votre ambulance au bas de la maison… » L’après-midi, De Funès commençait par faire une petite sieste avant de reprendre le tournage. Un jour, je m’étais déguisé en ange et j’étais parti le réveiller dans sa loge… « Louis, Loulou, vous êtes mort… Vous êtes au ciel… » Il ouvre un œil, simule une fausse colère, puis son visage s’illumine : « Michel, si vous continuez, vous allez effectivement me faire mourir. Mais de rire… » »

L’hôtel particulier de Charles Duchemin se situe dans une cour du 5 place d’Iéna (un an plus tard, un épisode de « Chapeau melon & bottes de cuir » sera tourné au même endroit, « Le Lion et la Licorne »). Le reste du tournage se déroule à La Défense (la tour Manhattan, la brasserie « Le Tourbillon »), Puteaux (rue Marius Jacotot, rue Anatole France, mairie), Dampierre (dans les Yvelines) et au restoroute de Rungis (sur l’A106).

Les prises de vues dureront finalement douze semaines et tout se passera pour le mieux…



[sources : interview de Christian Fechner dans le DVD de « L’Aile ou la cuisse » (Studio Canal, 2002), interview de Pierre Richard sur http://www.dvdrama.com/ (décembre 2005), interview de Claude Zidi dans « Ciné-Live » n°48, interview de Julien Guiomar dans « Féminin présent » du 7 octobre 1980, http://home.nordnet.fr/~anastasiya.petit/ pour les lieux de tournage, « Le Journal du Dimanche » du 17 octobre 1976 et du 30 janvier 1983]

vendredi 21 mars 2008

OSS 117 (Gaumont 1963-1968)

Créé en 1949 par Jean Bruce, le personnage de Hubert Bonisseur de la Bath, agent de la CIA d’origine française, a tout d’abord pris à l’écran les traits de Ivan Desny dans « O.S.S. 117 n'est pas mort » de Jean Sacha (1957). Puis, Michel Piccoli l’incarna dans « Le Bal des Espions » de Michel Clément (1960), mais son nom (sans doute pour des raisons de droits) fut transformé en Bryan Cannon. Ces films n’ont pas marqué les esprist de l’époque et il faudra attendre André Hunebelle pour que cela change…



« OSS 117 se déchaîne » (1963)

1963 marque la mort et la résurrection de OSS 117. Son créateur disparaît dans un accident de la route (après avoir écrit « OSS 117 à Mexico »), tandis qu’au cinéma, André Hunebelle lance la série de films à succès inspirés de ses aventures. Selon Mylène Demongeot, c’est Jean Marais qui « avait déniché les OSS 117 de Jean Bruce et avait suggéré à André Hunebelle de les adapter au cinéma avec lui-même en vedette. » L’idée enthousiasme le cinéaste, qui avait beaucoup apprécié « O.S.S. 117 n’est pas mort ». Il apprend de Jean Sacha que les droits des romans sont libres et que Jean Bruce souhaite revoir son héros à l’écran. En coproduction avec l’Italie, il met en chantier une adaptation de « OSS 117 prend le maquis », intitulée « OSS 117 se déchaîne », mais… sans Jean Marais. Sans doute pour faciliter les ventes du film à l’étranger, Hunebelle lui préfère un acteur américain, Kervin Mathews. Mécontent et déçu, Marais se voit offrir en guise de compensation le double rôle de Fantômas-Fandor (destiné à l’origine à Raymond Pellegrin, qui dut se contenter de prêter sa voix au célèbre criminel !). Mathews est un habitué des rôles de héros (« Le Septième Voyage de Sinbad », « Les Voyages de Gulliver ») et a le physique idéal pour incarner OSS 117. Il en fera un charmeur, à la fois détaché et déterminé.

« OSS 117 se déchaîne » comporte de très bonnes scènes d’action, qui sont les premières du genre. André Hunebelle a en effet introduit les arts martiaux dans le cinéma français, alors habitué aux « bourre-pifs » administrés par Eddie Constantine et Lino Ventura. Les bagarres se font plus subtiles, plus vicieuses aussi, avec des coups fatals portés à la gorge ou aux tempes. Claude Carliez règle les combats (comme il le fait sur la majorité des productions de l’époque, qu’il s’agisse de luttes au corps ou de duels à l’épée). Le cascadeur Yvan Chiffre, qui est un de ses assistants (et qui joue dans le film un agent secret français), apprend le karaté et le kendo « chez Cocatre, à la République, un des rares maîtres de karaté à Paris, et sans doute un des meilleurs ». S’il est souvent doublé, Kerwin Mathews ne s’en tire pas mal dans certaines séquences, notamment une l’opposant à Marc Mazzacurati.


Les scènes de bagarre sous-marines préfigurent celles de James Bond et ont été réalisées par Alain Boisnard, qui a officié de la même façon sur « Tintin et le Mystère de la Toison d’Or » de Jean-Jacques Vierne, avant de devenir le conseiller technique maritime d’André Hunebelle pour la séquence finale de « Fantômas ». Tourné à Bonifacio et à Nice, « OSS 117 se déchaîne » ne bénéficie pas de gros moyens. Le noir et blanc ne rend pas non plus l’enquête d’Hubert très excitante visuellement, mais le film est quasi-expérimental, car le succès d’une telle aventure n’est pas encore assuré. Il sort en France la même année que « Coplan prend des risques » de Maurice Labro (le premier des cinq films adaptés de Paul Kenny) et surtout « James Bond contre Dr No » de Terence Young. La grande mode de l’« espionnite » était lancée.


« Banco à Bangkok pour OSS 117 » (1964)

Pour la deuxième aventure de OSS 117, les producteurs revoient le budget à la hausse : pellicule couleur, tournage en extérieurs (en Thaïlande), décors imposants (construits par René Moulaert aux studios de Boulogne), vedettes (Robert Hossein, Dominique Wilms). C’est finalement dans « Banco à Bangkok pour OSS 117 » qu’Hubert Bonisseur de la Bath se déchaîne ! Inspiré de « Lila de Calcutta », le film lance l’agent de la CIA sur les traces d’une mystérieuse organisation, dirigée par le Dr Sinn (« Le rôle était génial ! », se souvient Robert Hossein), spécialiste des maladies psychiatriques et « chouchou » de la jet set de Bangkok. Celui-ci se prépare à répandre le virus de la peste à travers le monde.

Son discours apocalyptique devant ses fidèles est mémorable : « L’heure est venue où, pour la dignité de l’Homme, des millions d’hommes doivent périr. Des nations peu évoluées, aux philosophies primaires, risquent à tout moment par leurs criminelles expériences atomiques de provoquer la désagrégation de notre planète. Notre devoir est de les détruire, pour que demeure seule la spiritualité d’une civilisation millénaire. Alors, et alors seulement, nous aurons atteint notre but. La victoire de ceux qui ont le courage de cesser d’être humain pour que triomphe la cause de la race élue. »



Il semble évident que les auteurs avaient en tête « James Bond contre Dr No » en écrivant l’histoire. L’enchaînement des premières scènes rappelle en effet beaucoup le film de Terence Young : l’élimination d’un agent, la présence d’un photographe à l’aéroport, la secrétaire qui écoute aux portes, l’homme de main qui choisit de se tuer pour ne pas parler… Parmi les scénaristes de « Banco à Bangkok pour OSS 117 » se trouve Richard Caron, auteur de nombreux romans d’espionnage (parus notamment aux Presses de la Cité dans la collection « Jean Bruce ») et créateur du héros TTX 75.

Il est agréable de retrouver Dominique Wilms, qui avait « vampé » Lemmy Caution dans « La Môme Vert-de-gris » de Bernard Borderie, dix ans auparavant. Robert Hossein, qui tourne la même année « Angélique, Marquise des Anges », reviendra dans « Pas de roses pour OSS 117 » en 1968. Quant à Henri Virlogeux, qui joue ici le contact d’Hubert à Bangkok, il prêtera sa voix à Colin Drake dans « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 ». Signalons enfin la figuration de Michel Magne, qui danse au Golden Dragon.


« Furia à Bahia pour OSS 117 » (1965)

Après « Banco à Bangkok pour OSS 117 », André Hunebelle crée la franchise « Fantômas », qui va vite elle aussi loucher du côté de James Bond, mais également de OSS 117. Le titre du deuxième film, « Fantômas se déchaîne » reprend celui du premier Kerwin Mathews, tandis que le canon à ondes télépathiques s’inspire de la machine du Dr Sinn de « Banco à Bangkok… ». Pour « Furia à Bahia pour OSS 117 », Hunebelle va également utiliser deux des principaux comédiens de son autre série : Mylène Demongeot (Hélène, la compagne de Fandor) et Raymond Pellegrin (la voix de Fantômas).

Pour la nouvelle mission du héros de Jean Bruce, un problème de casting se pose. Les exigences financières de Kerwin Mathews sont trop élevées et il est décidé de le remplacer. Le choix ne se porte pas sur l’un des nombreux acteurs américains venus tenter leur chance à Paris ou à Rome (Ken Clark, Richard Harrison, Sean Flynn, Lex Barker, Ray Danton, George Nader…) mais sur un inconnu, qui plus est autrichien et sans expérience de la comédie. Son nom : Frederick Stafford. Jean-Pierre Desagnat, qui fut assistant-réalisateur sur plusieurs films d’André Hunebelle et qui réalisera « Pas de Roses Pour OSS 117 », se souvient de lui : « A l’origine, Stafford n’était pas acteur. De son vrai nom Frederich Strobl von Stein, ce noble autrichien était représentant en produits pharmaceutiques et était marié à l’actrice Marianne Hold, connue pour son interprétation de « Marianne de ma Jeunesse » de Julien Duvivier. Elle tournait alors à Bangkok et Frederick l’accompagnait. Sigmund Graa, le secrétaire d’Hunebelle, fit sa connaissance et de retour à Paris, proposa des essais au cinéaste, qui avait apprécié sa grande silhouette sportive ».

Autrichien né le 11 mars 1928 en Tchécoslovaquie, Stafford vécut longtemps en Australie, avant de revenir s’installer en Europe. Très athlétique, il participe aux compétitions de hockey sur glace à Davos en 1947 et aux épreuves de natation aux Jeux Olympiques de 1948. Une fois choisi pour interpréter Hubert Bonisseur de la Bath, il suit des cours de français, de diction, de judo et de karaté. « Ce n’est pas du tout un acteur », constate Mylène Demongeot. « Il est raide comme une potiche, mais c’est un bel homme, très grand et très gentil. » Malgré son handicap de départ, Frederick Stafford va très bien s’en sortir, aidé par un physique avantageux et une aisance évidente dans les scènes d’action.



En prenant pour base le roman « Dernier Quart d’Heure », André Hunebelle, son fils Jean Halain, et Pierre Foucaud envoient Hubert Bonisseur de la Bath au Brésil, pour démanteler un réseau terroriste responsable d’attentats sanglants contre d’importantes personnalités sud-américaines. Après avoir échappé à plusieurs pièges, il met en échec les plans d’un néo-nazi (François Maistre, apparu dans « Le Bal des Espions »), qui veut dominer le monde grâce à des tueurs téléguidés.

Comme sur le film précédent, les tournages des extérieurs sont assurés par Jacques Besnard. Il avait débuté comme assistant-réalisateur sur « OSS 117 se déchaîne » avant de devenir réalisateur de seconde équipe sur les deux premiers « Fantômas ». Il deviendra cinéaste, dirigeant notamment Frederick Stafford dans « Estouffade à la Caraïbe » en 1967 (une production André Hunebelle).

Dans le dossier de presse du film suivant, on pouvait lire : « Quand les lumières s’allumèrent à nouveau après la première projection de « Furia à Bahia pour OSS 117 » au cinéma Normandie, Paris comptait une vedette de plus. Frederick Stafford venait d’être projeté au firmament des stars grâce à André Hunebelle. » Auréolé de ce succès, l’acteur débutant devenu célèbre du jour au lendemain s’envole pour le Liban pour y tourner un film au titre plus que révélateur, « Baroud à Beyrouth par FBI 505 » de Manfred Köhler. Un film aujourd’hui complètement oublié…


« Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 » (1966)

OSS 117 a désormais d’innombrables concurrents. La France et l’Italie se sont mises à produire des films d’espionnage par centaines : « Bob Fleming, Mission Casablanca », « Karaté à Tanger pour agent Z7 », « Baraka sur X-13 », « Coplan FX-18 casse tout », etc. Jean Marais lui-même, sans doute frustré de n’avoir pas obtenu le rôle d’Hubert Bonisseur de la Bath, se transforme en espion dans « L’Honorable Stanislas, Agent Secret », « Pleins Feux sur Stanislas » et « Train d’Enfer ».

Mais le « patron » dans ce domaine reste toujours James Bond. André Hunebelle a alors l’idée de faire appel à Terence Young pour coécrire avec Pierre Foucaud l’adaptation de « Atout Cœur à Tokyo » (n°47). Considéré comme le père cinématographique de 007, cet Anglais francophile a réalisé « James Bond contre Dr No » (1962), « Bons Baisers de Russie » (1963) et « Opération Tonnerre » (1965). Seulement voilà, malgré son nom au générique, il semble que la nature de son apport reste un mystère. Certains des membres de l’équipe, quand on leur pose la question aujourd’hui, sont même étonnés d’apprendre sa participation au film. S’il est crédité comme adaptateur à la SACD (Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques), Terence Young n’a toutefois perçu aucune rétribution (le Centre National du Cinéma ne possède en effet pas de contrat à son nom). Pour Vincent Chenille (de « Archives 007 »), cependant, « une scène possède vraiment la touche Young, celle où OSS tente d’étrangler un méchant avec le fil du téléphone. Le méchant se défend et Hubert tire le fil, projetant l’ennemi par la fenêtre, et le voici « pendu au téléphone ». Bien qu’il reproche à Bond son sadisme, Young adore l’humour noir. »

Même s’il n’était pas nécessaire de s’adjoindre les services de Young pour cela, le scénario (assez éloigné du roman) offre beaucoup de similitudes avec « Opération Tonnerre ». L’organisation qui fait chanter les Etats-Unis en menaçant de détruire des bases militaires n’est pas sans rappeler l’opération menée par le SPECTRE contre l’Otan. Et un des personnages se nomme Vargas, comme l’homme de main d’Emilio Largo. On remarque aussi que « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 » donnera des idées au James Bond suivant, « On ne vit que deux fois », qui sortira en 1967 : la scène du massage, la collaboration avec une espionne japonaise (que l’on prend d’abord pour un agent ennemi) ou encore l’association d’une organisation criminelle avec un groupe industriel.


Occupé par la préparation du film « Sous le signe de Monte Cristo » (une adaptation moderne du roman d’Alexandre Dumas), André Hunebelle n’assure pas la réalisation, qui est confiée à Michel Boisrond, jusqu’alors plutôt spécialisé dans les comédies. Est-ce grâce à sa direction d’acteur, toujours est-il que devant sa caméra, Frederick Stafford est de plus en plus convaincant. Tour à tour décontracté, violent et calculateur, il donne à OSS 117 sa meilleure interprétation, tous films confondus. Il excelle dans les scènes de combat, extrêmement spectaculaires. Face à lui, Marina Vlady (qui vient de tourner avec Roger Vadim et Orson Welles) est parfaite en femme manipulée, menant double jeu aux yeux de la CIA. Henri Serre apporte toute son austérité et son élégance au personnage trouble de John Wilson (il aura un rôle proche dans « Fantômas contre Scotland Yard »). Et Jacques Legras intervient là où on ne l’attend pas, en tueur japonais !

On remarquera la qualité des décors de Max Douy. Sur les « Fantômas », André Hunebelle lui avait demandé de faire de la « science-fiction à la bonne franquette ». L’ambiance est évidemment différente sur « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 » mais le décor de l’intérieur du cargo, d’où partent les mini-fusées, n’est pas sans rappeler celui de « Fantômas se déchaîne » où les scientifiques sont retenus prisonniers.

A noter enfin que Claude Sautet participa lui aussi au scénario sans être crédité.



« Pas de Roses pour OSS 117 » (1968)

Le nouvel OSS 117 sort presque deux ans après le précédent. Entre temps, Hunebelle a réalisé « Fantômas contre Scotland Yard », qui clôture la série. « Sur le plateau, on sentait qu’une époque du cinéma français se terminait », se souvient Michel Wyn, alors réalisateur de seconde équipe. « Hunebelle avait soixante-dix ans. Avec les techniciens, notre plaisanterie préférée était : « Qui est donc ce vieux monsieur à chapeau qui nous suit partout ? » (rires) La télévision changeait la donne, le cinéma de genre à l’ancienne se délitait ». La chose se vérifie sur « Coplan sauve sa peau » réalisé par le jeune Yves Boisset. Profitant de l’absence des producteurs sur le tournage (en Turquie), il transforme une banale histoire d’espionnage en film fantastique inspiré de la « Chasse du Comte Zaroff » !

S’il est moins subversif, « Pas de Roses pour OSS 117 » est cependant lui aussi réalisé par un jeune cinéaste, Jean-Pierre Desagnat. Le générique affirme cependant que le film est signé Hunebelle ! Ce mensonge est dû aux distributeurs qui, pour des raisons commerciales, ont préféré ne pas inquiéter le public par un changement de direction. Assistant-réalisateur sur les « Fantômas » et « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 », Desagnat s’est vu proposer par Hunebelle de mettre en scène « Les Etrangers » écrit par Pascal Jardin. Pendant la préparation de ce film policier, le projet « OSS 117 » s’est présenté et Desagnat en a accepté la réalisation.

Autre inexactitude du générique : le film serait l’adaptation par Michel Levine et Pierre Foucaud du roman de Josette Bruce « Pas de Roses à Ispahan pour OSS 117 ». La réalité est tout autre. Jean-Pierre Desagnat et Pascal Jardin écrivent un premier scénario original, qui déplaît au coproducteur italien Marcello Danon, par son côté « comédie ». Vient ensuite le tour de Michel Lebrun. Surnommé le « Pape du Polar », ce romancier est également scénariste et a même travaillé sur « Banco à Bangkok pour OSS 117 » et « Furia à Bahia pour OSS 117 » (sans être mentionné au générique). Son adaptation n’est qu’une première étape. Desagnat collabore ensuite avec Michel Levine, tandis que Claude Sautet est consulté. Plusieurs discussions s’engagent finalement avec Pierre Foucaud et surtout André Hunebelle.



« L’écriture avec Hunebelle était une activité passionnante, se souvient Jean-Pierre Desagnat. Il avait gardé une âme d’enfant (dans le bon sens du terme) et une naïveté sur l’existence, malgré ses soixante-douze printemps à cette époque. Ouvert à toutes suggestions, il avait une vision positive des images et des situations. C’était un réel plaisir que de travailler à ses côtés. »

Le scénario est enfin accepté et donne une histoire assez délirante, où OSS 117, pour lutter contre une organisation responsable de plusieurs meurtres politiques, se fait recruter par le chef, surnommé « Le Major », après avoir subi une opération chirurgicale lui donnant le visage d’un célèbre assassin (une idée inspirée du roman « OSS 117 n’était pas mort » n°22). Josette Bruce s’inspirera du scénario pour signer « Pas de Roses à Ispahan pour OSS 117 », publié en 1967 (avant même la sortie du film).

Depuis son deuxième « OSS 117 », Frederick Stafford ne s’arrête pas de tourner. Il a retrouvé Michel Boisrond pour « L’Homme qui valait des milliards », et donné la réplique à Jean Seberg dans « Estouffade à la Caraïbe » et à Daniela Bianchi dans « La Gloire des Canailles ». Il ne se retrouve donc pas sans emploi lorsqu’André Hunebelle décide de le remplacer. Le cinéaste-producteur a en effet en tête de trouver un acteur susceptible de toucher le public nord-américain. Son choix se porte sur John Gavin. De son vrai nom Jack Anthony Golenor, il a à son actif quelques grands films comme « Le Temps d’aimer et le temps de mourir » (1958), « Spartacus » (1960) ou « Psychose » (1960). Il est le premier OSS 117 à parler avec un accent américain. « Le nouvel OSS, John Gavin, est pour une fois tout à fait crédible », écrit Claude-Marie Trémois dans « Télérama ». « Séduisant, l’air d’être capable de penser (c’est rare), et non moins capable de se servir de ses poings. » On peut cependant regretter qu’il soit beaucoup moins sophistiqué que ses prédécesseurs, qui étaient plus fins, plus anglais, plus « bondiens ». Cela n’empêchera pas Gavin d’obtenir deux ans plus tard… le rôle de James Bond dans « Les diamants sont éternels » ! Le producteur Albert Broccoli voit en lui l’interprète idéal : « grand, athlétique et très bon acteur ». Malheureusement, la United Artists parvient à convaincre Sean Connery de rendosser le smoking une dernière fois et Gavin est remercié (non sans avoir touché intégralement son cachet).

Le tournage initialement prévu en Iran, se déroule en fin de compte en Tunisie et à Rome. Quatre ans après « Banco à Bangkok pour OSS 117 », Robert Hossein retrouve un personnage de médecin pour le moins peu recommandable. 1968 marque également pour lui la fin de la série des « Angélique ». Curd Jurgens (« L’espion qui m’aimait ») interprète le « Major ». Luciana Paluzzi (« Opération Tonnerre ») et Margaret Lee (« Fureur sur le Bosphore », « Le Tigre se parfume à la Dynamite », « Coplan sauve sa peau »...) assurent le cota de charme.

L’absence de participation de l’équipe habituelle (Michel Magne, Max Douy, Claude Carliez, etc.) et l’atmosphère réaliste du film (tant au niveau de l’image que des décors) placent un peu « Pas de Roses pour OSS 117 » en marge de la série. Il rencontre un succès moyen en France et n’est pas distribué outre-Atlantique, malgré la présence de John Gavin. André Hunebelle comprend que la vague de l’espionnage touche à sa fin et qu’il est temps de passer à autre chose.


(texte écrit à l’origine (et remanié depuis pour le blog) pour un livre sur OSS 117 devant paraître chez DLM en 1996 et finalement inséré dans le coffret DVD édité par Gaumont en 2005)



[sources : témoignage de Jean-Pierre Desagnat, « Archives 007 » n°3, « Télérama » n°969, « Robert Hossein, le Diable Boiteux » de Henry-Jean Servat (éd. du Rocher, 1991), « A l’Ombre des Stars » d’Yvan Chiffre (Denoël, 1992), « When the Snow Melts » de Cubby Broccoli et Donald Zec (Boxtree, Londres, 1998), « Tiroirs Secrets » de Mylène Demongeot (Le Pré aux Clercs, 2001), livret du CD « Fantômas » (Universal, 2001)]

jeudi 20 mars 2008

« On l’appelle Trinita » (1970)



Souvent imité, voire plagié, « On l’appelle Trinita » a fait de Terence Hill et Bud Spencer des stars, les installant définitivement aux yeux du public comme un duo comique. Ironie de l’histoire, ce film n’a pas été à l’origine conçu pour eux. Mais plus étonnant encore, le scénario était écrit depuis 1966, époque où le western italien venait de prendre son envol et n’avait pas encore viré vers la parodie. L’auteur du script, Enzo Barboni, avait débuté comme caméraman avant de devenir directeur de la photographie, travaillant fréquemment avec le cinéaste Sergio Corbucci (« Romulus et Remus », « Le Fils de Spartacus », « Massacre au Grand Canyon »…). Il a alors en tête de passer à la réalisation et écrit l’histoire de Trinita, qu’il propose à Franco Nero sur le tournage de « Django » en 1966.

« Il avait toujours son script avec lui quand il réglait les lumières, se souvient l’acteur, et il me disait tout le temps : « Franco, lis ça, s’il te plaît… et Trinita par-ci… et Trinita par-là… » Je lui ai dit : « Ecoute, je dois partir en Amérique tourner Camelot (Ndla : une comédie musicale chevaleresque de Joshua Logan), je ne pourrai pas le faire. Alors, ils ont pris un acteur qui me ressemblait, c’était Terence Hill… au début, tout le monde pensait que Franco Nero avait changé de nom. »

En réalité, le choix de Terence Hill ne s’est pas fait de façon aussi prompte. Lorsqu’il tourne « On l’appelle Trinita », Hill est déjà reconnu comme vedette de westerns depuis trois ans, même s’il se place derrière Clint Eastwood, Franco Nero et Tomas Milian. Et lorsque son projet se concrétise, Barboni a de toute façon un autre acteur en tête (Peter Martell). « A l’époque, se souvient Terence Hill, Bud et moi voulions faire un film avec le producteur Italo Zingarelli, mais nous ne trouvions pas le scénario idéal. C’est à ce moment-là que Barboni a soumis le sien… »


Mais le film ne s’est pas monté aussi facilement qu’on pourrait l’imaginer. « Personne ne voulait faire « Trinita », raconte Hill. Tout le monde trouvait qu’il y avait trop de dialogue. Et d’une certaine façon, c’est moi qui ai imposé l’idée du film. » Il est vrai que le western italien ne se caractérise pas par une profusion de répliques, la parole étant surtout donnée aux Colts. De plus, les westerns non-violents ne sont pas à l’époque vraiment à la mode. « Le Bon, la Brute et le Truand » a été qualifié à sa sortie par le New York Times de « supermarché du sadisme » et les scènes de torture et de souffrance sont récurrentes chez Sergio Corbucci (« Navajo Joe », « Le Grand Silence », « Le Spécialiste »). Aussi, un film où l’on parle beaucoup et où l’on distribue des claques ne semble pas promis à un bel avenir.

« J’ai immédiatement adoré le personnage de Trinita, qui est une sorte de hippie », se souvient son interprète. Souriant, décontracté, mais néanmoins canaille, Trinita lui offre la possibilité de changer de registre. Hill fait de son personnage un indécrottable paresseux, qui dort sur un lit traîné par son cheval, une idée reprise de « Dieu pardonne moi pas », dans lequel Cat avait installé sur sa monture une sorte de dossier lui permettant de se reposer tout en avançant. De « La Colline des Bottes » vient également la base du fonctionnement du duo : Hill débusque Spencer dans sa retraite et l’entraîne dans une histoire mouvementée, à la grande exaspération de ce dernier.

Mais surtout, « On l’appelle Trinita » met en place ce qui deviendra une constante dans les films à venir (voire une des raisons du succès) : les bagarres. Terence Hill utilise ce qu’il a sous la main (bâtons, poêles, chaises) et Bud Spencer se déchaîne avec ses coups de poings-marteaux (notamment sur Remo Capitani, qui interprète Mezcal, le bandit mexicain). Giorgio Ubaldi, crédité comme assistant-réalisateur, s’est chargé de régler la grande bagarre finale entre les Mormons et les hommes du Major. Dix jours de tournage ont été nécessaires pour cette séquence, qui, à l’écran, dure cinq bonnes minutes.

« On l’appelle Trinita » ne bénéficie pas d’un énorme budget, qui aurait permis de tourner en Espagne comme la plupart des westerns à l’époque. Enzo Barboni pose donc ses caméras en Italie : la ville a été reconstituée aux studios de Paolis près de Rome, la vallée où s’installent les Mormons se situe dans le parc naturel de Monte Simbruini et la rivière où se baignent Trinita et les deux jeunes filles se trouve au parc de la Valle del Treja.

Le rôle du méchant Major Harriman est joué par Farley Granger, qui avait connu la célébrité grâce à deux films d’Alfred Hitchcock, « La Corde » (1948) et « L’Inconnu du Nord-Express » (1951). Sa première expérience italienne remontait à Senso de Luchino Visconti (1954). En ce début de décennie soixante-dix, Granger tourne à Rome des films moins prestigieux, comme « L’Ame Infernale », « La peau qui brûle » ou « La Peur au Ventre ». Sur le plateau de « … Trinita », il s’adonne à la boisson, n’hésitant pas à déchirer le scénario de Barboni en mille morceaux. Après être apparu dans « Les 4 de l’Avé Maria », Steffen Zacharias retrouvait les deux acteurs dans le rôle de Jonathan, l’adjoint du shérif. On l’a aussi vu au côté de Bud Spencer dans « Cinq hommes armés » (1969) et « Les anges mangent aussi des fayots » (1973), et de Terence Hill dans « El Magnifico » (1972). A noter encore la brève apparition du fils de Terence Hill, Jess, alors âgé de deux ans ! Il écrira le scénario de « Petit Papa Baston » en 1994.

« On l’appelle Trinita » sort en Italie en décembre 1970 et obtient un triomphe. Le public se rue en masse et rit à gorge déployée des exploits des deux demi-frères, au grand étonnement des auteurs, qui pensaient simplement avoir réalisé un film non-violent teinté d’ironie. « Personne, ni moi, ni Enzo Barboni, ne se doutait que (le film) serait comique à ce point, reconnaît Terence Hill. Il n’y a pas eu de décision consciente dans l’orientation comique de ma carrière. C’est l’œuvre de la Providence ! » Tout de même, la Providence a été un peu aidée car le film est délibérément tourné vers la comédie, et il semble évident que Enzo Barboni a voulu parodier le western italien. L’arrivée en ville de deux tueurs caricaturaux vêtus de noirs (dont l’un s’appelle Mortimer, comme Lee Van Cleef dans « Et pour quelques dollars de plus »), au son d’une trompette « morriconienne », est assez significative. Et la scène où Bud Spencer abat trois hommes face à lui est très « eastwoodienne » (ou « leonienne », au choix).


Mais le plus surpris par le succès comique du film est Sergio Leone, alors en pleine préparation de « Il était une fois la révolution » : « Le jour où je vis le premier « Trinita », je me suis mis à douter de ma santé mentale. Je pensais être devenu idiot. J’entendais le public hurler de rire. Je ne comprenais pas pourquoi il rigolait. Ce que je voyais me paraissait nul, mal foutu, vraiment mauvais. Je ne saisissais pas pourquoi un adulte pouvait s’amuser devant une telle connerie. » Plus tard, Leone se servira du personnage de Trinita pour « Mon nom est Personne », une réflexion sur le western italien et les mythes.

« N’en déplaise aux détracteurs », écrit Jean-François Giré dans sa bible sur le western européen (« Il était une fois… le western européen »), « Trinita, antithèse des personnages ténébreux au regard de glace, aura compté dans la mythologie (dans l’aventure esthétique) du western européen, sans doute bien malgré lui, peu importe ; ce sont aussi les hasards qui fondent la mémoire mythologie d’un genre. »



[sources : « Starfix » n°13, « Giallo Pages » #3 (1994), « Amarcord » n°7 (1997), « Conversation avec Sergio Leone » de Noël Simsolo (éd. Cahiers du Cinéma, 1999), « Il était une fois… le western européen » (Dreamland, 2002)]

« Le Professionnel » (1981)

Après « Flic ou voyou » et « Le Guignolo », tous deux réalisés par Georges Lautner, Jean-Paul Belmondo (alors au faîte de sa gloire) a pour projet de tourner « Barracuda » de Yves Boisset, un film d’aventures se déroulant aux Caraïbes et inspiré en partie par l’affaire Claustre (l’enlèvement d’une Française, retenue en otage au Tchad de 1974 à 1977, qui se transforma en affaire d’état). Mais les deux hommes ne parviennent pas à s’entendre. « Il y a eu, disons, incompatibilité de conception sur le projet, rapporte Boisset. Après avoir travaillé six à sept mois sur le scénario et fait des repérages aux Antilles, on ne s’est pas mis d’accord sur le scénario : Belmondo voulait faire un film d’aventure et se refusait à toute allusion à l’affaire Claustre. Moi, au contraire, j’avais envie de réaliser à la fois un film d’action qui mettrait le doigt sur certains aspects obscurs de cette affaire. » Alexandre Mnouchkine, le producteur attitré de Belmondo (depuis « Cartouche »), n’est pas intéressé lui non plus par « Barracuda » et propose à Yves Boisset d’adapter pour sa vedette un roman de l’Anglais Patrick Alexander, « Mort d’une bête à la peau fragile » (paru en 1978 chez Gallimard).

Le cinéaste refuse mais Belmondo suit les conseils de son producteur. « Je trouvais le livre très bon et comme je voulais faire, derrière « Le Guignolo », quelque chose de plus grave, et que je voulais revenir au policier… » Tout naturellement, le film est proposé à Georges Lautner qui est libre pour entamer la préproduction. Michel Audiard s’attelle au scénario et aux dialogues. Le roman, qui se déroule en Angleterre, doit être « francisé » mais hormis ce détail, le script final suit à la lettre l’histoire originale. Certaines répliques viennent même directement du livre. Pourtant, la première version proposée ne semblait pas convenir, comme s’en souvient Lautner : « L’adaptation était partie sur une fausse route et quinze jours avant le film, on a eu le choix entre arrêter le film et le corriger. On l’a corrigée avec Jacques Audiard et l’équipe. »


De l’Afrique (?) à Paris

Le tournage débute en mai 1981 en Camargue avec les scènes africaines de la détention de Joss Beaumont, agent secret français envoyé pour assassiner le dictateur N’Jala puis trahi par sa hiérarchie. Des étudiants noirs de l’université de Montpellier sont engagés pour faire de la figuration. Le décor du village attaqué par l’armée pose problème au metteur en scène. « En retard sur le scénario, je n’ai pas pu surveiller les travaux et je n’ai pas pu arriver sur place avant la veille du tournage. Le village était très bien fait, mais les cases étaient trop éloignées les unes des autres. Impossible d’en avoir au moins deux dans le même cadre. Si je voulais la présence du village, il fallait que je m’éloigne. Je me suis posté à cinq cents mètres avec un téléobjectif sur la caméra. Tous les plans de cette séquence sont tournés au téléobjectif. C’est ce qui lui donne ce grain particulier, ce côté documentaire. Finalement, un incident peut parfois nous obliger à trouver des solutions système Démerde qui peuvent être meilleures que celles envisagées. » A propos de la partie africaine, le pays désigné dans le film est imaginaire, le Malagawi. Or, le résumé du dossier de presse (et tous ceux qui ont suivi depuis vingt-cinq ans !) parle du Malawi, authentique pays africain commandé alors par un dictateur, président à vie. Le nom devait figurer dans le scénario avant d’être modifié sur le tournage.

L’équipe rejoint ensuite Paris pour de nombreuses scènes en extérieurs (Gare du Nord, 5 rue des Eaux –l’appartement de Beaumont, l’hôtel Intercontinental, etc.) dont la moindre n’est pas celle de la poursuite en voitures réglée par Rémy Julienne sur le parvis et les escaliers du Trocadéro ! Les autorisations tardant à venir, Belmondo fait intervenir son père Paul, sculpteur membre de l’Académie des Beaux-Arts, qui rend la chose possible. Les intérieurs sont tournés aux studios d’Epinay. Jean-Pierre Lavoignat assiste pour « Première » aux scènes se déroulant dans l’ancien appartement de Joss Beaumont. « C’est la journée catastrophe : un projecteur tombe sur le plateau dans un fracas épouvantable. Le miroir de la luxueuse salle de bains que l’on déplace pour faciliter un mouvement de caméra vole en éclats. Un cadre tombe du mur. Belmondo, dans une tirade de noms de gangsters –ou de flics, qui sait ?- (Ndla : Beaumont énumère à sa femme les noms des principaux protagonistes de l’affaire) en oublie toujours un, toujours le même – tant et si bien que cela tourne au gag, malgré les prises successives !... »


La bande à Bébel

Comme souvent, le casting est « solide ». « Le problème dans beaucoup de films que j’ai tournés, explique Belmondo, c’est que très souvent, je n’ai pas eu face à moi de méchants qui faisaient le poids. J’ai donc suggéré aux producteurs d’engager Robert Hossein, afin de me retrouver confronté à un acteur d’envergure me donnant beaucoup de fil à retordre. » (Tout de même, Omar Sharif dans « Le Casse », « Bruno Cremer » dans « L’Alpagueur » ou Adalberto-Maria Merli dans « Peur sur la ville » étaient carrément à la hauteur !) Hossein, avec qui il a tourné dix ans auparavant « Le Casse », se révèle un redoutable commissaire Rosen, flic violent prêt à tout pour neutraliser Beaumont. « Le Professionnel » marque aussi les retrouvailles de Belmondo avec d’autres acteurs comme Jean Desailly (« Le Doulos »), Elizabeth Margoni (« Le Corps de mon ennemi ») et son ami de toujours Michel Beaune.

Bernard-Pierre Donnadieu incarne l’inspecteur auxiliaire Farge (après avoir été une petite frappe dans « Le Corps de mon ennemi ») et s’en réjouit. « Dans les films de Belmondo, on pourrait croire qu’il n’y en a que pour Bébel ; c’est vrai dans une certaine mesure car les seconds rôles sont des faire-valoir de Bébel, mais il manifeste énormément de respect pour les acteurs avec qui il travaille. Il a une conception du domaine des seconds rôles qui, à mon avis, rejoint la mentalité des metteurs en scène américains. » Jean-Louis Richard (qui reviendra dans « Le Marginal »), Cyrielle Claire et Pierre Saintons (excellent en N’Jala) relèvent de cette « conception ». Quant à André Weber (un « régulier » de chez Lautner : « Les Barbouzes », « Le Pacha »…), son rôle de clochard échangeant ses vêtements avec Beaumont semble être une référence directe à « Ho ! » de Robert Enrico. A noter encore la présence de têtes familières comme Baaron (le président du tribunal), l’Africain au gong des émissions de Stéphane Collaro ; le culturiste antillais Serge Nubret (le médecin au procès), apparu dans plusieurs peplums dont « Les Titans » de Duccio Tessari ou l’ex-champion de boxe Maurice Auzel (un des flics chargés de filer la call-girl), grand ami de Belmondo à qui il donne régulièrement la réplique.



Morricone remix

Alors que la postproduction commence, Ennio Morricone est choisi pour composer la bande originale. En attendant qu’il débute son travail, Lautner choisit parmi quelques disques qu’on lui soumet un thème du musicien. Il est séduit par « Chi Maï », un morceau du film italien « Maddalena », réalisé par Jerzy Kawalerowicz en 1971. « J’ai monté le film avec ce disque. Après la première projection, tout le monde était emballé. Je vais à Rome. Morricone enregistre la nouvelle musique dans la couleur de « Chi Maï ». Je monte le film avec cet enregistrement. Projection : déception. Belmondo a dit, et tout le monde aussi : « Oh, oh, ça va pas ! ». J’ai remis le 45 tours. » René Château, qui est chargé de la publicité sur les films de Belmondo depuis plusieurs années, se souvient : « Nous avons sur-utilisé ce thème en le mettant sur tous les moments faibles du film. Une idée reprise du « Docteur Jivago » où le célèbre air de Maurice Jarre (« La Chanson de Lara ») revenait sans cesse en leitmotiv alors qu’elle ne représentait qu’un petit passage du film. Cela a été une des raisons principales de l’énorme succès du « Professionnel »… La musique masquait les trous du scénario… » Fait amusant, « Chi Maï » est également présent dans un feuilleton de la BBC, « The Life and Times of David Lloyd George » diffusé en Grande-Bretagne deux mois avant le début du tournage du « Professionnel ».


Mourir ou pas

A la sortie du film, Jean-Pierre Lavoignat évoque avec Jean-Paul Belmondo son projet de film sur le gangster Jacques Mesrine et lui demande : « Malgré votre image de marque, vous accepteriez de mourir comme ça ? » Ce à quoi la star répond : « Pourquoi pas ? » Il faut dire que « Le Professionnel » n’a pas été présenté à la presse et que la fin du film n’est donc pas encore connue… Mais la question s’est réellement posée à la production. Belmondo et Lautner étaient d’accord pour faire mourir Joss Beaumont alors qu’il se dirige vers l’hélicoptère, une fois N’Jala tué (par Farge). « Tout le monde était contre nous, rappelle Lautner. Notre raisonnement n’était pas faux. Nous faisions des films avec Belmondo en agitateur comique, sur le ton de la dérision, de la légèreté. La mort du héros donnait soudain une certaine gravité à ce cinéma de détente. Quand Alain Poiré est sorti de la projection privée, il a téléphoné à notre producteur du moment, Mnouchkine : « Sacha, si Belmondo meurt à la fin, vous perdez deux cent cinquante mille entrées sur Paris. » J’avais tourné une autre fin : Belmondo partait dans l’hélico avec une très jolie fille, Marie-Christine Descouard… Mais nous avons tenu bon. Belmondo se fait descendre, et on reste sur son cadavre avec la musique de Morricone. On en prend plein la gueule. »





[sources : « Première » n°55, n°60, « Ciné-news », « Starfix » n°13, « Robert Hossein » de Henry-Jean Servat (Editions du Rocher, 1991), « Belmondo » de Philippe Durant (Robert Laffont, 1993), « Georges Lautner foutu fourbi » de José Louis Bocquet (La Sirène, 2000), « On aura tout vu » de Georges Lautner (Flammarion, 2005)]

mercredi 19 mars 2008

Indiana Jones (1981-1989)

« Mon coeur s’est mis à battre dès que j’ai entendu l’histoire que m’a lue George Lucas, en mai 1977, à Hawaï où nous étions en vacances, se souvient Steven Spielberg. A cette époque, il avait voulu prendre un peu de distance avec la sortie de « La Guerre des étoiles » et il nous avait demandé, à ma girl-friend et à moi, de venir passer quelques jours avec lui. Et là, il m’a raconté cette histoire à laquelle il avait pensé pendant des années. En l’écoutant, je me suis dit : « Mon Dieu, c’est merveilleux... » C’était une sacrée bonne histoire, et c’est ça qui, en premier lieu, m’a attiré. J’aimais cette idée de faire un film qui ressemble aux vieilles séries B faites par Republic, ces histoires dans lesquelles le sol se dérobe soudain sous les pieds du héros et où l’on s’aperçoit après qu’il a juste eu le temps de se rattraper ! J’aimais cette espèce d’hommage aux séries de la Republic comme « Zorro », « Sheena », « In the Navy », qu’on tournait alors par dizaines... »

George Lucas vient de raconter à son ami les aventures d’Indiana Smith, archéologue play-boy à la Cary Grant, vivant à Manhattan et partant à l’occasion à la recherche de trésors. Cette idée avait germé dans son esprit entre « American Graffiti » et « La Guerre des étoiles ». Il avait rédigé trois synopsis mais dut les laisser de côté pour s’envoler dans l’espace et combattre l’Empire. Après la victoire de l’Alliance, il travaille avec Philip Kaufman sur une ébauche de scénario, située dès le départ en 1936. Mais le futur réalisateur de « L’Etoffe des héros » quitte le projet pour mettre en scène « Les Seigneurs » (avec Karen Allen). Sur les conseils de Spielberg, Lucas confie alors à Lawrence Kasdan le soin d’écrire le scénario.

La première mouture des « Aventuriers de l’Arche perdue » est prête en août 1978. Sans même la lire, Lucas engage Kasdan pour écrire « L’Empire contre-attaque », qui allait s’avérer une entreprise difficile à mener à bien. En janvier 1979, les trois hommes se réunissent à Los Angeles. « George avait vingt idées, moi dix, Larry huit. A nous trois, ça donne trente et une scènes », se souvient Spielberg. Lucas divise le scénario en soixante scènes, chacune de deux pages, et donne sa conception de la construction : « C’est un film en forme de feuilleton. C’est aussi, fondamentalement, un morceau d’action. Nous voulons que les choses restent espacées et, en même temps, construire la tension. »

Un universitaire héroïque

Lucas insiste sur le fait que le film se jouera sans clin d’oeil : le public ne doit pas rire du film mais grâce à lui. Une démarche qu’il avait adoptée pour les deux premiers « Star Wars ». De ce fait, le personnage d’Indiana Jones doit devenir attachant aux yeux des spectateurs. Lucas abandonne le côté dandy et fait de Jones un archéologue hors-la-loi, souvent assimilable à un pilleur de tombes. Cependant, précise-t-il, « il doit être quelqu’un que nous pouvons regarder en face. Nous fabriquons un modèle pour les jeunes gosses, aussi devons-nous faire attention. Nous avons besoin de quelqu’un qui soit honnête, vrai et confiant. » Il appartient en fait à la même famille que Han Solo, le contrebandier gouailleur et téméraire de « La Guerre des étoiles ».

Dans quelle mesure Lucas a-t-il mis de lui-même dans l’archéologue? « Indiana » est déjà le nom de son propre chien (« un monstre gris et blanc », selon Spielberg). Et pour Charles Champlin, l’un de ses biographes, « beaucoup d’aspects d’Indy aussi bien que d’autres anticonformistes tels que Han Solo et quelques-uns des personnages d’« American Graffiti », représentent un alter ego pour George Lucas. Indy est aventurier par amour, pas pour le gain en tant que tel, pour l’amour de faire des découvertes sur les civilisations anciennes. Indy aime combattre les méchants, il a l’amour de l’Histoire, du passé, l’amour de la chose bien faite, l’espièglerie, l’indépendance, le non-conformisme. »

Steven Spielberg veut insister sur la dualité du personnage, à la fois universitaire et aventurier (un peu comme Clint Eastwood dans « La Sanction » de 1975). Le look d’Indiana Jones lui a été inspiré par Humphrey Bogart dans « Le Trésor de la Sierra Madre » de John Huston (1947) : coiffé d’un chapeau, débraillé et mal rasé, avec un revolver à la ceinture... Il y voyait aussi un peu de l’Errol Flynn des « Aventures de Don Juan » de Vincent Sherman (1949).

Pour Harrison Ford, Jones « est un archéologue ; il enseigne l’archéologie. Mais c’est aussi un aventurier qui ignore les contraintes inhérentes au monde universitaire. C’est un héros d’épopée, de romans de cape et d’épée, mais il est en même temps vulnérable, parce qu’il est humain : il n’est pas à l’abri de la peur ou des problèmes d’argent. Il enseigne, mais je ne le décrirais pas comme un intellectuel pur et dur. Il accomplit des actions héroïques, il est brave, mais ce n’est pas un héros. Il traverse le monde et les événements avec son fouet, en tentant d’y mettre un peu d’ordre et voilà tout. »

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Harrison Ford n’est pas le premier choix du tandem. Lucas ne veut pas d’un acteur déjà apparu dans ses productions précédentes et pense à un certain Tom Selleck. Encore inconnu, l’Américain vient de signer avec CBS pour être la vedette de la série « Magnum ». Mais une grève des acteurs à Hollywood retarde considérablement le tournage, empêchant Selleck d’être disponible à temps. Neuf ans plus tard, Steven Spielberg concluera :

« Je suis sûr que Tom Selleck aurait été un Indiana Jones parfait, je n’ai aucun doute là-dessus. C’était avant qu’il soit connu et je pense qu’il aurait créé une forte impression et que le film aurait aussi bien marché qu’avec Harrison Ford. Mais Harrison a apporté au personnage quelque chose qui n’était pas prévu, un petit côté mordant, un certain cynisme qui ont fait l’Indiana Jones que tout le monde connaît aujourd’hui. Tom aurait certainement eu un peu plus d’innocence, un peu moins de roublardise... Tom n’aurait jamais pu piller des tombes, Harrison oui ! »


« Les Aventuriers de l’Arche perdue » (1981)

Une fois le personnage cerné, il est décidé de l’envoyer à la recherche de l’Arche d’Alliance contenant les Dix Commandements, pour le compte des services secrets américains. Accompagné par Marion Ravenwood, un ancien amour propriétaire d’un bar au fin fond du Népal, Indiana Jones doit prendre de vitesse l’archéologue français Belloq, à la solde des Nazis, dans le désert égyptien. Tout le côté mystique du scénario est dû à George Lucas, qui avait déjà intégré des références religieuses dans les deux premiers « Star Wars » (la philosophie de Yoda, par exemple, est d’origine bouddhiste).

Le tournage des « Aventuriers de l’Arche perdue » (Raiders of the lost Ark) débute le 23 juin 1980, à La Rochelle, plus précisément dans le port de La Pallice. Là sont filmées les scènes où Indy et Marion s’embarquent sur un cargo (un navire égyptien que l’équipe trouve in extremis dans un port irlandais) et où le sous-marin allemand arrive dans l’île à la fin du film (à La Pallice se trouve encore une base sous-marine construite par les Nazis en 1942 ; le sous-marin provenait du film allemand « Le Bateau », tourné au même endroit juste avant).

Les séquences égyptiennes sont tournées en Tunisie, où les cascadeurs font un travail remarquable, notamment dans la scène désormais mythique de la poursuite en camion, tournée par Micky Moore (Harrison Ford est doublé dans cette scène par Terry Leonard). L’un des gags les plus drôles du film est ce moment où Indy tue d’un simple coup de revolver un virtuose du sabre, en plein marché du Caire. Il est à l’origine prévu qu’il se batte contre lui, mais Harrison Ford, plié en deux par une attaque de dysenterie, n’est pas en état pour tourner cette séquence d’action. Cette solution abrupte est donc trouvée.

Un grand soin est apporté à la séquence d’ouverture dans le temple Ovitos (tournée à Hawaï), qui à elle seule est un hommage à toute une tradition de culture populaire (serials, bandes dessinées...). « Il faut qu’elle ait l’air de continuer pendant un tiers du film, préconise George Lucas, puis donner au public une chance de repos avant que nous le frappions avec le suspens suivant. » C’est Spielberg qui a l’idée de la boule géante poursuivant Indiana Jones. Construite en fibre de verre, elle pese quand même cent cinquante kilos et Harrison Ford doit tourner cette scène dix fois de suite !


ILM (Industrial Light and Magic), la société d’effets spéciaux de George Lucas, est mise à contribution et pas seulement pour la séquence finale de la « Colère de Dieu ». Le simple fait de voir Indiana Jones prendre un Pan Am China Clipper pour se rendre au Népal pose problème. Plus aucun de ces hydravions n’est disponible (la plupart s’étaient écrasés !). Le seul modèle qu’ILM trouve a trop de trous pour pouvoir flotter... Il faut donc recourir à des trucages : filmer sur terre l’appareil et les passagers en train d’embarquer et intégrer l’image dans une matte painting (peinture sur verre) représentant le décor.

Aux côtés d’Harrison Ford se trouve la talentueuse Karen Allen, issue de l’« Actor’s Studio ». « Nous avons joué sur cette faim de sexe dans le regard, atténuée par un sourire merveilleux, explique Spielberg. Car au fond, son personnage de Marion Ravenhood est une gamine farceuse qui a toujours rêvé d’être un garçon. » Paul Freeman incarne à la perfection le mielleux et redoutable Belloq. Pourtant, le cinéaste aurait voulu pour le rôle... Jacques Dutronc ! « S’il avait su ne serait-ce que se débrouiller en anglais, il aurait eu le rôle. (...) C’est pour moi le premier acteur au monde et je le tiens pour une véritable star. »

Si aujourd’hui, Indiana Jones fait partie de l’Histoire du Cinéma, le succès du film à l’époque était loin d’être assuré. Lucas considérait « Les Aventuriers de l’Arche perdue » comme une série B et non comme une prestigieuse production hollywoodienne. Le public allait-il accrocher à cette histoire de quête divine se déroulant dans les années trente, après les « Star Wars » et les « Superman » ? Le film fait finalement un triomphe à travers le monde et reçoit quatre Oscars (montage, décors, son, effets visuels).


« Indiana Jones et le temple maudit » (1984)

Dès le départ, le prolifique duo avait décidé de faire une trilogie (à condition que le premier film marche). Lucas confie le scénario de « Indiana Jones and the temple of death » à ses amis Willard Huyck et Gloria Katz, qui avaient déjà écrit pour lui « American Graffiti » (1973) et participé aux dialogues de « Star Wars » (1977).

Après l’Afrique, Indiana Jones découvre l’Asie. Accompagné d’un jeune Chinois et d’une chanteuse de cabaret, il recherche les pierres magiques d’un village indien et trouve sur son chemin des adorateurs de la déesse Kâli, pratiquant l’esclavage et les sacrifices humains.

« George Lucas souhaitait que le film soit aussi « sombre » que « L’empire contre-attaque » l’était par rapport à la « Guerre des étoiles », explique Spielberg. Donc, « Le Temple maudit » fut en quelque sorte une aventure au pays de la magie noire, et parfois, le tournage était éprouvant en raison du sujet, inquiétant et maléfique. Des enfants transformés en esclaves et des hommes en zombies, c’était à la fois sinistre et effrayant. Le décor même du Temple nous donnait des frissons dans le dos, aux techniciens et à moi-même ! C’était un peu comme « L’Exorciste » rencontre « Les Aventuriers de l’Arche perdue » ! »

A tel point qu’aux Etats-Unis, « Indiana Jones and the temple of doom » (le titre ayant changé pour ne pas trop effrayer les gens !) est classé « P.G. » (Parental Guidance), interdisant l’accès aux enfants non accompagnés. Il est vrai que certaines séquences comme celle du coeur arraché à mains nues ont de quoi choquer. Cette déviation du film est d’autant plus surprenante pour le public que la scène d’ouverture est très distrayante. Dans un night-club de Shanghaï, Indiana Jones provoque une bagarre pour récupérer un diamant et un antidote. De nombreuses références cinématographiques (aux comédies musicales, à « Goldfinger », à « La Guerre des étoiles »...) émaillent ce morceau d’anthologie haut en couleurs.

Cinq ans plus tard, Spielberg semble regretter d’avoir réalisé le film. « Sur « Le Temple maudit », je n’étais vraiment qu’un réalisateur dont on avait loué les services. Je n’aimais pas l’histoire mais je ne me suis pas battu avec George alors que j’aurais dû. Je n’aimais pas le scénario mais je l’ai accepté sans discuter. J’ai fait mon travail de metteur en scène. Pas plus. »

Le film, tourné au Sri Lanka et à Macao, a quand même d’énormes qualités. Les séquences d’action, notamment, sont extrêmement spectaculaires. Le pont suspendu, la poursuite en wagonnets (tournée avec des miniatures) et l’inondation de la mine sont autant de morceaux de bravoure, désormais devenus des classiques.


« Nous avons essayé de maintenir d’un bout à l’autre du film une impression de danger, sans craindre même l’exagération, explique Dennis Muren, le responsable des effets spéciaux. Par exemple, avant la rupture du pont, on a l’impression que les personnages se trouvent à une soixantaine de mètres au-dessus de l’eau. Après la rupture du pont, lorsqu’Indiana Jones est suspendu contre la falaise, on a l’impression qu’il est à plus de cent cinquante mètres au-dessus de l’eau. (...) Cette menace toujours accrue du danger est l’une des choses que nous avons tenté de ne jamais oublier dans notre travail. Je ne crois pas que le principe avait été suivi aussi consciemment pour le premier film. »

Plusieurs films inspirent directement Spielberg et les scénaristes. On retiendra « Gunga Din » de George Stevens (1939) pour la scène de cérémonie dans le temple Thug. Et « Hong Kong » de Lewis Foster (1951), où Ronald Reagan (Stetson et blouson de cuir) tente de s’approprier un trésor en compagnie d’une femme et d’un enfant chinois.

Kate Capshaw, qui allait devenir plus tard Madame Spielberg, joue le rôle de Willie Scott, insupportable « artiste » de cabaret vénale et prétentieuse ; Ke Huy Quan est « Demi-Lune » (Short-Round dans la v.o.), un Chinois orphelin recueilli par Indiana Jones. Remarquons aussi l’apparition surprise de Dan Ackroyd (« The Blues Brothers », « SOS Fantômes »...) au début du film, à l’aéroport de Shanghaï.

« Indiana Jones et le Temple maudit » est un gigantesque succès, provoquant de multiples sous-produits (« Allan Quatermain et les mines du roi Salomon », « Les Aventuriers du Cobra d’or »...). Spielberg et Lucas semblent avoir réinventé le film d’action et d’aventures. Ne lit-on pas sur l’affiche française, « Depuis « Les Aventuriers de l’Arche perdue », l’Aventure a un nom : Indiana Jones » ?


Indiana Jones et la Dernière Croisade (1989)

Pour la troisième tranche de vie d’Indiana Jones, Steven Spielberg veut cette fois avoir sa part de création dans le scénario. Une première histoire est écrite par Chris Columbus (« Gremlins », « Le Secret de la pyramide », « Les Goonies »), qui se déroule en Afrique et s’inspire de la légende chinoise du Roi des Singes. Mais, déplore le cinéaste, cela « ressemblait trop à un « Indiana Jones » normal. C’était inventif, intelligent et drôle, mais il n’avait rien de spécial. C’était d’ailleurs la même chose avec les deux autres scripts qui étaient écrits et dont l’action se déroulait en Australie pour l’un et en Chine pour l’autre. Aucun d’eux ne m’excitait vraiment, c’étaient juste des épisodes en plus. »

Spielberg a alors l’idée de donner un père à son héros (peut-être parce que lui-même l’était devenu depuis peu...). Jeffrey Boam (« Brisco County », « L’Arme fatale 2 & 3 ») plancha sur l’idée et invente Henry Jones, professeur de littérature médiévale et spécialiste du Saint-Graal. Un rat de bibliothèque qui a certes enseigné beaucoup de choses à son fils, mais en est l’opposé.

« Je me disais, explique Spielberg, que ce serait intéressant et original que, dans un « serial » comme « Indiana Jones », le plus grand défi lancé au héros soit non pas une fosse remplie de piques ou une pièce pleine de serpents ou une voiture bourrée d’explosifs, mais son propre père. J’ai dit à George : « Il y aura toujours l’action, l’aventure, la chasse au trésor, mais ce sera surtout la réconciliation d’un père et de son fils. » »

Spielberg a tout de suite pensé à Sean Connery pour le rôle, un choix qui ne manque pas, à la sortie du film, de provoquer de (vaines) comparaisons entre Indiana Jones et James Bond... L’histoire envoie Indiana Jones sur les traces de la coupe du Graal en Italie, en Allemagne et dans la république (fictive) d’Hatay. Les relations père-fils sont pour beaucoup dans le plaisir que procure le film, leur opposition étant des plus drôle.


Le 16 mai 1988, le tournage de « Indiana Jones et la Dernière Croisade » (Indiana Jones and the last crusade) démarre dans le désert d’Almeria, en Espagne. Il s’agit de tourner la scène du tank (tout d’abord « storyboardée » sous la direction de Spielberg), réglée par le cascadeur Vic Armstrong. « La cascade la plus compliquée était un passage d’un cheval sur l’arrière d’un tank de la première guerre mondiale, le tout à grande vitesse. Le cheval galopait sur un talus, quatre mètres au-dessus du tank qui avançait parallèlement sur la route. Indy était censé bondir et atterrir entre les chenillettes, sur le tank, dans une certaine position, les mains en avant, le visage vers le bas, de sorte qu’ils puissent raccorder sur Harrison à partir de là. Techniquement, c’était plutôt difficile. »

L’équipe part ensuite pour Venise, tourner notamment une scène de poursuite en bateaux... que Spielberg abrége à cause de ses réticences à travailler sur l’eau (depuis ses mésaventures sur le tournage des « Dents de la mer »). C’est ensuite la Jordanie et le site de Petra, une nécropole creusée et sculptée dans le grès au début de l’ère chrétienne. Trois semaines après la fin du tournage, Spielberg met en scène la séquence d’ouverture montrant un jeune Indiana en 1912. River Phoenix, qui avait été le fils d’Harrison Ford dans « Mosquito Coast » de Peter Weir (1986), joue le rôle du futur archéologue, dans sa toute première aventure. L’occasion d’expliquer les origines de sa cicatrice au menton, de sa peur des serpents, du chapeau et du fouet. A l’origine, pourtant, le scénario prévoyait une scène où Indy cambriolait une banque tenue par des desperados. « Mais une fois le script terminé, ça m’est apparu comme une erreur, explique Spielberg : cette séquence avait tellement peu de rapport avec le reste qu’elle avait l’air de venir d’un autre film ! »

Denholm Elliott et John Rhys-Davies reprennent les rôles de Marcus Brody et de Sallah, du premier film. Alison Doody, une ex-James Bond Girl (dans « Dangereusement Vôtre ») est l’ambitieuse Elsa Schneider. Et Julian Glover incarne Walter Donovan, après le Général Veers dans « L’empire contre attaque » et Kristatos dans « Rien que pour vos yeux ».

A la sortie du film, Spielberg répète sur tous les tons que la page est tournée. « George et moi cherchons à explorer un autre concept qu’Indiana Jones. On a rangé son fouet, son chapeau, sa réputation et nous sommes partis devant pour explorer de nouveaux territoires... ». Une série télévisée (« Les Aventures du jeune Indiana Jones ») et un quatrième film plus tard (« Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal »), Indiana Jones se porte bien...

[Texte écrit en 1997 pour un livre consacré à la série des "Aventres du jeune Indiana Jones", prévu pour être publié par les éditions DLM mais jamais édité]


[sources : « Première » n°54 et n°114, « Starfix » n°19, « Studio » n°31, « Lucasfilm Fan Club » n°7 et 8, « Lucasfilm Magazine » n°6, « George Lucas, l’homme qui a fait « La guerre des étoiles » » de Dale Pollock (Hachette, 1983)]

Belmondo… et Delon dans « Ho ! » (1968)

Le 15 mars 1969, « France-Soir » annonce que Jean-Paul Belmondo et Alain Delon vont tourner un film ensemble. Il s’agit, bien sûr, de « Borsalino », même si ni le titre ni le sujet ne sont divulgués. Après s’être donnés la réplique dans « Sois belle et tais-toi » en 1957 et s’être retrouvés dans un plan de « Paris brûle-t-il ? » en 1966, les deux stars du cinéma français vont donc enfin partager le haut de l’affiche. Mais le quotidien donne cette information incroyable :
« Récemment, Alain a joué, pour faire plaisir à Jean-Paul, le rôle d’un figurant dans « Ho ! » : on le voyait quitter l’aéroport d’Orly, tandis que la voiture de Belmondo manquait de l’écraser. » Et en effet, Alain Delon fait bien cette apparition à la 48ème minute du film de Robert Enrico (avec qui il venait de tourner « Les Aventuriers »).





Delon a fait plusieurs cameos dans sa carrière (« Carambolages » (1963), « Il était une fois un flic » (1971) et « Fantasia chez les ploucs » (1971)), mais celui de « Ho ! » n’est jamais mentionné dans sa filmographie…




Marco Polo (1962-inachevé)


En 1957, Raoul Lévy, producteur des premiers films avec Brigitte Bardot, a un rêve : faire un film sur la vie de Marco Polo. Le voyageur vénitien a décrit ses voyages en Asie dans « Le Livre des Merveilles du Monde », qui pourrait donner lieu à une superproduction. En juillet 1960, il annonce que la réalisation est confiée à Christian-Jaque (« Fanfan la Tulipe »). Aussitôt, plusieurs projets sur Marco Polo sont mis en chantier des deux côtés de l’Atlantique, au grand dam de Lévy.

Début 1961, il dévoile son casting : Alain Delon incarnera le personnage. Six ou sept mois de tournage sont prévus en Turquie, en Iran, en Inde, au Pakistan, au Vietnam et à Hong Kong, pays dans lesquels Christian-Jaque est parti faire des repérages. « C’est un film de la même dimension que « Ben-Hur » ou « Spartacus », une fresque à grand spectacle à travers l’Asie », affirme Raoul Lévy.

Le tournage ne débute que le 2 janvier 1962 en Yougoslavie, dans les studios de Belgrade. Aux côtés de Delon se trouvent Dorothy Dandridge (« Carmen
Jones »), Grégoire Aslan, Michel Simon, Bernard Blier, Mel Ferrer, Douglas Wilmer et Robert Dalban. Christian-Jaque travaille d’arrache-pied à la séquence d’ouverture, qui est extrêmement spectaculaire, comme s’en souvient le cascadeur Yvan Chiffre (doublure d’Alain Delon) :

« Une gigantesque partie d’échecs où les pions sont figurés par des personnages vivants, les pièces par de véritables cavaliers, et le roi par un cornac juché sur un éléphant. Delon et son adversaire (Grégoire Aslan) sont face à face dans des tours géantes, au-dessus d’un échiquier géant ; nous autres devons faire avancer les chevaux au gré de la partie. »

La scène, qui doit durer huit minutes, va demander plus d’un mois de tournage et coûter huit millions de francs (l’équivalent de trois films). Lévy achète une double-page dans « Le Film Français » du 23 février 1962 ; on y voit une grande photo de l’échiquier et un bandeau en forme d’aveu :
« SEQUENCE TERMINEE ».

Lévy se retrouve vite avec un gros problème de fonds. Parti aux Etats-Unis montrer la séquence de l’échiquier aux pontes de la Columbia, dans l’espoir de les associer au financement, il revient bredouille. Les caisses sont vides. Il tente, par de nombreux communiqués dans le « Film Français », de rassurer la profession et d’intéresser d’éventuels investisseurs, alors que les techniciens ne sont même plus payés.

A Venise, où Alain Delon doit courir sur les toits et Michel Simon se faire décapiter place Saint-Marc, rien n’est tourné, faute de moyens. Raoul Lévy doit même de l’argent à l’hôtel Danieli ! Le 9 mars, il annonce en fanfare dans la presse : « Après « Les Canons de Navarone » et « Lawrence d’Arabie », Anthony Quinn à la tête de 200 éléphants, sera Nayam, le chef rebelle mongol dans « Marco Polo » ». Mais le film est déjà arrêté et Alain Delon a quitté le navire.

En 1964, Raoul Lévy remontera le projet et le mènera à terme. « La Fabuleuse Aventure de Marco Polo » (intitulé « L’Echiquier de Dieu » pendant le tournage) sera réalisé par Denys de la Patellière et interprété par Horst Bucholz et Anthony Quinn.

(sources : interview télévisée de Raoul Lévy, 30 janvier 1961 / « A l’ombre des stars » d’Yvan Chiffre, éd. Denoël, 1992 / « Raoul Lévy, un aventurier du cinéma » de Jean-Dominique Bauby, éd. JC Lattès, 1995)

Les Oies Sauvages (1978)


L’homme à l’origine des « Oies Sauvages » s’appelle Euan Lloyd. Né en 1923, il a débuté avec de grands producteurs comme Carl Foreman (« Les Canons de Navarone ») ou Albert Broccoli (les James Bond) avant de devenir lui-même producteur : « Gengis Kahn » (1965), « Opération Opium » (1966), « Shalako » (1968), « Catlow » (1971), etc.

En 1975, Lloyd produit « Paper Tiger », un film d’aventures modernes tourné en Malaisie avec David Niven. Un premier pas vers le genre de productions dont il rêve. Quelques années auparavant, il avait confié à son ami Scott Finch, acteur et producteur, son désir de produire un film d’action spectaculaire. Connaissant le goût de ce dernier pour les romans d’aventures, il lui avait demandé de lui indiquer les plus intéressants.

Cette année-là, Lloyd reçoit un coup de téléphone de Finch de Rhodésie, où il tourne « Un risque à courir » de Peter Collinson avec Anthony Quinn. L’un des scénaristes (non crédité) s’appelle Daniel Carney. Il tente de réussir en tant que romancier (l’un de ses livres a d’ailleurs été adapté à l’écran à cette époque, sous le titre de « Albino ») mais son dernier manuscrit, « The Thin White Line », vient d’être rejeté par son agent, qui le trouve trop violent. Carney parle à Finch de cette histoire de mercenaires envoyés en Afrique pour récupérer un dirigeant emprisonné et lui propose de la lire.

Enthousiasmé, Scott Finch rentre à Londres avec le livre dans ses bagages et le fait lire à son tour à Euan Lloyd, qui voit tout de suite ce qu’il peut en tirer pour le cinéma. Il se rend en Californie et contacte Oscar Distell, président de la maison d’édition Bantam Books, lequel veut immédiatement publier le roman de Carney. Lloyd négocie un contrat de 50 000 dollars au nom de l’auteur (qu’il n’a pourtant jamais vu) et part ensuite pour le Zimbabwe pour rencontrer ce dernier. A l’issue de l’obtention des droits cinématographiques de son histoire, le producteur lui présente le contrat de Bantam Books. Carney est aux anges.



Un casting d’exception

Euan Lloyd crée la Varius Entertainment Trading A.G. et, changeant le titre du roman original, lance la production des « Oies Sauvages » (The Wild Geese). Il engage Reginald Rose, le scénariste de « Douze Hommes en Colère », pour écrire l’adaptation, tandis qu’il se met à la recherche d’un casting d’exception.

Très vite, il parvient à intéresser Richard Burton et Burt Lancaster pour les rôles respectifs de Allen Faulkner et Rafer Janders. Récemment (re)divorcé d’Elizabeth Taylor, Burton a vécu une traversée du désert mais le battage médiatique autour de « L’Exorciste II : l’Hérétique » de John Boorman l’a remis sur les rails. Agé de soixante-cinq ans, Lancaster n’a pas tourné de film d’action depuis « Scorpio » de Michael Winner (1973), et s’est offert quelques « vacances » chez Visconti et Bertolucci.

Mais un problème se pose : Lancaster veut tirer la couverture à lui et faire de Janders le personnage principal. Après d’âpres discussions, Euan Lloyd décide de le remplacer par Richard Harris. L’acteur anglais est alors très populaire et ne renâcle pas à l’idée de tourner des films d’action. Après « Terreur sur le Britannic » de Richard Lester (1974) et « Le Pont de Cassandra » de George Pan Cosmatos (1977), « Les Oies Sauvages » va constituer le dernier volet d’une trilogie exceptionnelle « made in England ».

Le choix d’Hardy Kruger pour le rôle de l’Afrikaner Pieter Coetze (participant à cette opération pour revenir chez lui) est très intéressant puisqu’il éprouve une grande passion pour l’Afrique. En effet, Kruger est tombé amoureux du continent lors du tournage d’« Hatari ! » d’Henry Hathway (1962) et s’est même installé en Tanzanie, où il a acheté une terre sur laquelle toute chasse est interdite. « Au fin fond de ma Tanzanie, j'oublie l'Europe. Ses guerres ou ses obsessions. (…) Quelquefois on me fait savoir qu'on a pensé à moi pour un rôle d'homme déséquilibré, troublé, compliqué, différent. Moi qui suis gai, sain, équilibré ! J'accepte. Le cinéma est le seul métier que je connaisse. Il me permet de nourrir mes cochons, mes poules, mon bébé de six mois, ma femme, de cultiver mes papayes, mes bananiers, d'aller camper seul pendant huit jours, si j'en ai envie. »


Un peu d’humour grâce à Roger Moore

Devenu James Bond depuis 1973 avec « Vivre et Laisser Mourir », Roger Moore tente de profiter de son nouveau statut pour tourner des films, lui qui n’était jusqu’à présent qu’une vedette de télévision. Entre deux aventures de 007, donc, Moore apparaît dans des productions pas toujours convaincantes, comme « Le Veinard » de Christopher Miles (1975), « Parole d’homme » de Peter Hunt (1976) ou « L’Exécuteur » de Maurizio Lucidi (1976). Sa rencontre avec Euan Lloyd va assurément compter dans sa carrière.

Lorsque le producteur lui propose « Les Oies Sauvages », cependant, l’acteur refuse. Il vient de terminer « L’espion qui m’aimait » (son meilleur Bond, selon lui) et aspire à quelque chose de différent. Mais Lloyd est convaincu qu’il est le bon choix pour le rôle de Shawn Fynn, surtout depuis que le scénariste Reginald Rose lui a décrit le personnage avec l’allure et le comportement de Roger Moore ! Lloyd voit en lui le moyen d’intégrer une certaine dose d’humour dans un film violent et parfois dramatique.

Moore va surtout être motivé par le casting. Richard Burton est pour lui un très grand acteur et il a suivi avec intérêt sa carrière. « Il était fascinant à regarder. Il savait très bien comment jouer pour l’écran et comment utiliser la caméra. C’était un vrai cours magistral. » Il est également très ému à l’idée de partager sinon une scène, en tout cas l’affiche avec Stewart Granger (Sir Edward Matherson, le commanditaire), qui n’est rien d’autre que le héros de son enfance. Moore avait d’ailleurs commencé sa carrière en faisant de la figuration dans un de ses films, « César et Cléopâtre » en 1945.

Le reste du casting est composé de figures familières du cinéma britannique : John Alderson, le garde du corps du jeune caïd, avait déjà croisé Roger Moore sur l’épisode de « Amicalement Vôtre », « Un ami d’enfance » ; Valerie Leon, qui joue la première croupière au casino, a joué dans deux James Bond, « L’espion qui m’aimait » avec Roger Moore et « Jamais Plus Jamais » avec Sean Connery ; Barry Foster, le secrétaire de Sir Edward Matherson, incarnait l’étrangleur de femmes de « Frenzy » d’Alfred Hitchcock (1972) ; avec son rôle de prêtre fort en gueule révolté par la présence de mercenaires occidentaux, Frank Finlay interprète un personnage à l’opposé de celui qu’il incarnait dans « Shaft Contre les Trafiquants d’Hommes » (1973), un esclavagiste recrutant des Africains.

L’Homme de l’Ouest

Euan Lloyd n’engage pas un réalisateur britannique comme Guy Hamilton ou Peter Collinson, mais un Américain, Andrew V. McLaglen. Fils de l’acteur Victor McLaglen, il a surtout tourné des westerns, notamment avec John Wayne (« Chisum », « Les Géants de l’Ouest », etc.), et « Les Oies Sauvages » représente pour lui un nouveau défi. Il se rend à Londres l’été 1977 et rencontre Roger Moore, dès son arrivée à l’aéroport d’Heathrow. L’acteur lui propose de dîner avec lui le soir même afin de faire connaissance, comme s’en souvient le réalisateur : « Je l’ai trouvé extrêmement intelligent et très bien informé autant sur le milieu du cinéma que sur ce qui se passait d’important dans le monde. Par-dessus tout, il avait un sens de l’humour sans limites. » Avant de le quitter, Moore lui remet une pièce commémorative des vingt-cinq ans de règne d’Elizabeth II comme porte-bonheur. Elle ne l’a plus quitté depuis.

Babouins et sobriété

Le tournage commence à l’automne en Afrique du Sud, à Tshipise dans la province du Transvaal, au nord du pays. L’équipe est logée dans un camp de vacances du gouvernement, près d’une source d’eau chaude aux vertus thérapeutiques. Il n’est pas rare que tout le monde soit réveillé de bonne heure par un raid à très basse altitude de l’armée de l’air sud-africaine, qui constitue, selon la population noire, « une démonstration du pouvoir blanc ».

D’autres problèmes viennent de la présence de babouins autour du camp. La nuit, un gardien est chargé de les empêcher de s’introduire dans les huttes où dorment acteurs et techniciens en tirant des coups de feu pour les effrayer. Un matin, Richard Burton a la mauvaise surprise, en se réveillant, de voir au-dessus de lui un babouin l’observer à travers le toit de paille. L’acteur s’échappe à une vitesse qu’il ne croyait pas possible d’atteindre et va raconter cet incident à Andrew McLaglen. Roger Moore, qui a bien arrosé la veille son anniversaire, arrive derrière lui et lui dit : « Marrant que tu dises ça mon vieux, moi ce matin, j’ai vu des éléphants roses. »

La préoccupation première de Euan Lloyd est de s’assurer que ni Richard Burton ni Richard Harris ne soient fidèles à leur réputation de buveur pendant le tournage. Le premier semble cependant avoir tourné la page et démarré une nouvelle vie, grâce notamment à son épouse Susan Hunt. Quant à Harris, les médecins l’ont convaincu d’arrêter de boire en lui expliquant que sa vie pourrait être en danger. La présence de sa femme, l’actrice Ann Turkel, l’aide à tenir le coup. Lloyd, cependant, préfère prendre ses précautions. « J’ai dû l’obliger à ne pas boire et j’ai obtenu son accord que s’il le faisait, il perdrait tout son
salaire. »

Le tournage se déroule dans une totale sobriété et les relations entre les quatre stars sont au beau fixe. « Burton et Harris étaient de très bons compagnons de travail » se souvient Roger Moore, « toujours à plaisanter et à se mêler aux techniciens -les acteurs et l’équipe formaient une grande et heureuse famille sur ce film. C’étaient de vraies stars ! »




Action !

Les scènes d’action sont principalement dévolues au réalisateur de seconde équipe John Glen, qui s’est particulièrement distingué à ce poste sur deux James Bond, « Au Service Secret de sa Majesté » (1969) et « L’espion qui m’aimait » (1977), qu’il a aussi montés. Glen est imposé à Andrew McLaglen par Lloyd, qui a travaillé avec lui sur « Catlow » (1971). Le réalisateur est tout d’abord méfiant à son égard et exige qu’il tourne les plans de seconde équipe à proximité de la sienne, ce qui n’est jamais très pratique et amène souvent les deux groupes à se marcher sur les pieds les uns des autres. Glen doit pourtant procéder de cette façon la première semaine.

Le plan où Hardy Kruger tire sur un des gardes du camp avec une arbalète lui pose problème. En effet, comment ne pas perdre de vue la flèche et s’assurer une bonne mise au point ? John Glen décide d’utiliser une caméra à grande vitesse (entre 72 et 120 images par seconde) et de zoomer en arrière (jusqu’à un focus pré-établi). Quelques jours plus tard, le retour des rushes du laboratoire lui procure un grand soulagement : deux prises sont totalement réussies. « Andrew a regardé les rushes avec nous et à partir de là, je pense qu’il a compris qu’il avait besoin de moi. »

John Glen est ensuite chargé de filmer le saut en parachute des cinquante mercenaires. Euan Lloyd le prévient : il doit réussir du premier coup. Il embarque avec son cadreur Dudley Lovell à bord d’un Cessna, qui se met en position près du transporteur C130. Un autre caméraman, qui se trouve à bord de ce dernier, doit les avertir du saut par radio. Mais Glen se méfie et lui demande de jeter un journal. Bien lui en en prend car la liaison radio ne fonctionne pas. Filmant à 72 images par seconde, Lovell parvient de justesse à éviter l’aile du Cessna et obtient un plan magnifique.

Les cascades physiques (bagarres, chutes, etc.) sont réglées par Bob Simmons. Véritable légende de la cascade en Grande-Bretagne, il est devenu célèbre en travaillant sur les James Bond (c’est même lui qui personnifie 007 dans les plans d’ouverture à travers le canon des trois premiers films). « Avant que Bob n’impose son style, les cascadeurs n’étaient souvent que des figurants améliorés » affirme son collègue Richard Graydon. Avec Simmons, les combattants sautent, roulent sur eux-mêmes, détruisent le décor, utilisent tous les accessoires présents, etc. Sur « Les Oies Sauvages », il double notamment Richard Burton lorsqu’il doit porter Winston Ntshona (Limbani) –car sa santé ne le lui permet pas- et apparaît brièvement à la fin du film dans le rôle du pilote du Dakota, rapidement assommé.

Retour en studio

En novembre 1977, l’équipe rentre à Londres pour tourner (en studio et en extérieurs) le reste du film. Le scénario prévoit que Faulkner se rende seul à la fin de l’histoire chez Matherson pour le tuer. Mais Richard Burton insiste pour que Roger Moore apparaisse lui aussi, étant donné son statut de superstar. Fynn va ainsi attendre Faulkner dans la voiture et échanger deux répliques avec lui.

Le travail de postproduction peut ensuite commencer. John Glen se met à sa table de montage tandis que Maurice Binder conçoit le générique. C’est à lui que l’on doit ceux des James Bond (ainsi que ceux de « Charade », « Repulsion », « La Bataille d’Angleterre », « Le Dernier Empereur », etc.). On en retrouve d’ailleurs le style dans « Les Oies Sauvages », la carte de l’Afrique se superposant à des images d’émeutes et de soleil couchant (on remarque aussi le portrait de Moïse Tschombé, le séparatiste katangais qui a inspiré le personnage de Limbani).

Satisfait par son travail sur « Catlow » et « Paper Tiger », Euan Lloyd engage Roy Budd (« Get Carter », « Marseille Contrat », etc.) pour composer la musique du film. Il lui demande une chose précise : utiliser le Nocturne du Quatuor à Cordes n°2 en ré majeur d’Aleksandr Borodine pour le thème de Rafer Janders. Budd arrange le morceau et l’intègre parfaitement dans les scènes où Janders est avec son jeune fils. Quant à la chanson du générique (« Flight of the Wild Geese »), elle a été écrite, composée et interprétée par Joan Armatrading, première chanteuse noire à s’être hissée dans les charts anglais.






Atterrissage réussi

« Les Oies Sauvages » sort en juillet 1978 en Grande-Bretagne. L’ordre d’apparition des noms au générique ne pose pas de problème, étant entendu que Richard Burton arrive incontestablement en première position. L’énorme popularité apportée par James Bond conduit Roger Moore à le suivre de près, tandis que Richard Harris et Hardy Kruger ferment le banc. En revanche, l’affiche est une autre paire de manches. « La solution est venue de l’agent de Richard Harris », explique Euan Lloyd, « qui a suggéré que les noms apparaissent en différentes positions de façon ascendante, mais en partant de Burton. »

Le film rencontre un grand succès et pousse Euan Lloyd à produire en 1980 un film du même genre, « Le Commando de sa Majesté ». Il espère réunir à nouveau Roger Moore et Richard Burton, mais ce dernier est finalement remplacé par Gregory Peck. D’autres acteurs et techniciens des « Oies Sauvages » feront partie de l’aventure (Kenneth Griffith, Patrick Allen, Roy Budd, John Glen, Bob Simmons, etc.).

En 1984, pressé par les distributeurs internationaux, Euan Lloyd met en chantier « Les Oies Sauvages 2 », d’après « The Square Circle » de Daniel Carney. Changement d’ambiance, puisqu’un groupe de mercenaires doit faire échapper de sa prison berlinoise le nazi Rudolf Hess. Parmi eux, un certain Allen Faulkner. Richard Burton est le seul à reprendre son rôle mais alors qu’il va débuter le tournage en Allemagne, il meurt en Suisse, le 5 août 1984. Le projet est cependant trop avancé pour être annulé. Edward Fox (« Le Chacal ») remplace alors Burton et Faulkner se prénomme désormais Alex. Mais malgré un casting prestigieux (Scott Glenn, Barbara Carrera, Laurence Olivier, Robert Webber) et la présence du réalisateur Peter Hunt (« Au Service Secret de sa Majesté »), le film peine à égaler l’original et le succès est mitigé. Ce sera le dernier film produit par Euan Lloyd.


[texte écrit à l’origine pour le livret du DVD du film édité chez Opening en 2005]


Sources : « L'Express » (6 novembre 1967), http://www.roger-moore.com/, livret du CD « The Wild Geese » par Geoff Leonard et Pete Walker (Castle Music, 1999), « Double-O-Stunts » de John Cork (MGM, 2000), « For My Eyes Only » de John Glen (Batsford, 2001), « Roger Moore His Films And Career » de Gareth Owen et Oliver Bayan (Robert Hale, 2002).