jeudi 22 mai 2008

« Histoires de tournages » déménage !


Bonjour à tous, deux mois après son lancement, le blog se transforme en mini-site hébergé par le site de cinéma devildead.com. Non seulement le contenu restera le même mais de nouvelles rubriques ont été ajoutées : « Instantanés » relate des anecdotes particulières sur des tournages, et « Fantasmes » évoque des projets de films non réalisés ou des tournages interrompus. L’aventure continue donc, et ce pour mon plus grand plaisir !
Je remercie vivement tous les gens qui sont venus visiter mon blog et tous ceux qui ont eu la gentillesse de me laisser des commentaires d’encouragement. Je les invite tous à continuer à venir lire mes textes à cette nouvelle adresse :

http://histoiresdetournages.devildead.com/

À très bientôt !!

mardi 29 avril 2008

Quand l’inspecteur s’emmêle (1964)

Lorsque Blake Edwards débute le tournage de « Quand l’inspecteur s’emmêle » en novembre 1963, La Panthère Rose n’est pas encore sortie sur les écrans. L’inspecteur Clouseau n’est donc pas devenu un personnage populaire et sa réapparition va relever quasiment du hasard. En effet, Peter Sellers doit tourner, sous la direction d’Anatole Litvak, A Shot In The Dark d’après la pièce de Marcel Achard, L’Idiote. L’acteur s’est engagé à faire ce film mais le regrette amèrement. Il devine qu’il ne s’entendra pas avec le réalisateur et ne voit pas ce qu’il peut tirer du scénario.

Il en parle à Blake Edwards, qui n’est pas plus emballé que lui à l’idée de tourner ce film. Mais il réfléchit quelques jours et trouve une solution : « Je n’ai accepté qu’à la seule condition de changer la construction du film en le centrant sur le personnage de Clouseau (…). C’était une échappatoire, sans doute un peu facile, mais la seule qui s’offrait à moi. En effet, quel que soit le scénario, quelles que soient les situations dans lesquelles on le place, je sais toujours – tellement je le connais – comment réagira Clouseau. Je peux donc l’intégrer à n’importe quelle histoire si j’ai la possibilité d’envisager les situations en fonction de sa présence centrale. »

Un coup de feu dans la nuit

« L’Idiote » de Marcel Achard a été créée à Paris au Théâtre Antoine en 1960, avec Annie Girardot et Jean-Pierre Cassel. Achard la résume par un proverbe persan : « Donne un cheval à celui qui dit la vérité, il en aura besoin pour s'enfuir. » Plus précisément, il s’agit de l’interrogatoire, par un jeune juge d’instruction dont c’est la première affaire, d’une femme de chambre accusée d’avoir tué son amant. La jeune « idiote » va peu à peu troubler le fonctionnaire par son franc-parler et son ingénuité ; un rôle en or pour une actrice. L’Idiote va être traduite en Allemagne, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en Suède, etc.

À Broadway, la pièce se joue d’octobre 1961 à septembre 1962 au Booth Theatre avec Julie Harris, William Shatner (futur Capitaine Kirk de la série « Star Trek ») et Walter Matthau. « C’est devenu en anglais « A Shot in the Dark », raconte Marcel Achard, ce qui peut se traduire par « un coup de feu dans la nuit », mais qui signifie aussi « tenter de savoir quelque chose en disant quelque chose de faux », c'est-à-dire tirer au hasard dans l’espoir de provoquer une situation. » La pièce (adaptée par Harry Kurnitz) remporte un très grand succès. L’agence Associated Press évoque « une comédie hilarante et coquine, qui emprunte au vaudeville français et à l’intrigue à suspense ».

Blake Edwards n’est pas convaincu par cette opinion et s’embarque à bord d’un paquebot transatlantique avec le jeune scénariste William Peter Blatty (qui connaîtra la gloire en écrivant le roman « L’Exorciste »), pour réécrire la pièce. La contrainte théâtrale de l’unité de lieu est évacuée au profit d’une multiplication de décors (commissariat, manoir, camp nudiste, boîtes de nuit). Quant au juge d’instruction, il disparaît logiquement au profit de l’inspecteur Jacques Clouseau. L’adaptation libre de la pièce rendra furieux certains journalistes français à la sortie du film. « « L’Idiote » n’est certes pas la meilleure pièce de Marcel Achard, écrit Jean Rochereau dans « La Croix ». Tout de même, avait-on le droit de la considérer comme quantité négligeable au point d’en tirer, pour l’écran, « Quand l’inspecteur s’emmêle ? » » Oh oui, sans doute.

La famille Clouseau

« Quand l’inspecteur s’emmêle » introduit trois personnages, qui deviendront récurrents lorsque la série reprendra dans les années soixante-dix. Tout d’abord, le commissaire Charles Dreyfus, supérieur et pire ennemi de Jacques Clouseau, dont il connaît l’incompétence et la bêtise. Il est incarné par Herbert Lom, comédien anglais d’origine tchèque, qui avait déjà été le partenaire de Peter Sellers dans « Tueurs de Dames » d’Alexander McKendrick (1955) et « Monsieur Topaze » de… Peter Sellers (1961). Encouragé par Blake Edwards comme tous les autres acteurs à proposer des idées, il improvise une réaction physique de Dreyfus. « J’avais une scène avec Peter dans mon bureau, se rappelle-t-il. Il me disait quelque chose comme « Ne vous inquiétez pas, chef, je m’en occupe » et m’adressait un clin d’œil d’encouragement. J’ai alors cligné de l’œil à mon tour, mais de façon nerveuse, sans pouvoir m’arrêter. Ce n’était pas dans le scénario mais Blake Edwards a adoré. » Ce tic va devenir un des « gimmicks » de la série, au même titre que les improbables prononciations de Clouseau. « Mais c’est devenu un problème, affirme Lom. J’ai fait ces films pendant vingt ans, et au bout de dix ans, les scripts sont devenus mauvais. On me disait « Vas-y, Herbert, cligne de l’œil. » Et je répondais « Je ne vais pas cligner de l’œil. Vous écrivez une bonne scène et je n’aurai pas besoin de le faire. » »


Burt Kwouk interprète Cato, le domestique de Clouseau. Né à Manchester en 1930, il part à l’âge d’un an avec sa famille à Shanghai, où il grandit. Il s’installe à Londres à la fin des années cinquante et fait plusieurs petits métiers, dont de la figuration. Il n’a alors pas l’ambition de devenir acteur mais il est remarqué et obtient des petits rôles au cinéma (« L’Auberge du Sixième Bonheur », « Une histoire de Chine ») et à la télévision (« Destination Danger », « Chapeau Melon & Bottes de Cuir »). « J’étais bien connu de la profession mais pas du public », explique-t-il. A l’automne 1963, Burt Kwouk reçoit un coup de téléphone qui va changer sa vie et sa carrière. « On m’a demandé si je pouvais me rendre au studio pour rencontrer Blake Edwards. Nous avons parlé pendant vingt minutes, pas du film mais de sujets divers. Il m’a donné le script et j’ai eu le rôle. » Cato attaque Clouseau dans son lit (même quand il est en galante compagnie) ou dans sa baignoire, et son acharnement au travail n’est interrompu que par la sonnerie du téléphone. Ses scènes sont donc très physiques, même si elles n’atteignent pas encore le délire des films ultérieurs. « Sur « Quand l’inspecteur s’emmêle », j’étais jeune et agile, et j’ai donc pu faire mes propres cascades. »

Enfin, beaucoup moins marquant mais tout aussi présent : François, l’adjoint du commissaire Dreyfus. Il est l’un des rares, avec son supérieur, à connaître la véritable nature de Clouseau. Il est incarné par le seul Français présent dans la série des « Panthère Rose », André Maranne, dont la carrière s’est déroulée exclusivement en Angleterre. On a pu le voir incarner le « Frenchy » de service dans « Opération Tonnerre », « Les Filles de l’Air », « La Bataille d’Angleterre », « Gold » ou encore « Darling Lili » réalisé par Blake Edwards.

A la recherche du gag

Blake Edwards tourne quelques plans à Paris (rue Caulaincourt et à Pigalle), et filme l’extérieur du manoir Luton Hoo dans le Bedfordshire, censé représenter la maison de M. Ballon. Le reste du film est tourné aux studios MGM de Borehamwood, près de Londres. L’ambiance est des plus agréables. Les acteurs jouent au billard entre deux prises, George Sanders se met du piano et chante des airs d’opéra.

Hercule Lajoy, l’assistant pince-sans-rire (et consterné) de Clouseau, est joué par Graham Stark, grand ami de Peter Sellers. Les deux hommes se sont rencontrés pendant la guerre au « Gang Show » et se sont ensuite retrouvés à la télévision et au cinéma (« Les Dessous de la Millionnaire », « On n’y joue qu’à deux », « Les Jules de Londres »…). Sur « Quand l’inspecteur s’emmêle », il apprécie particulièrement les méthodes de travail de Blake Edwards : « L’atmosphère était détendue, sans cette pression à laquelle j’ai été habitué par le passé. Pas de « Ecoutez, nous n’avons pas le temps pour ça » ou de « Je ne pense pas qu’il faille nous arrêter de travailler juste pour rire ». Blake faisait partie de ces réalisateurs qui ne s’imposaient pas à l’acteur. On était toujours invité à suggérer quelque chose pour la scène, pourvu que cela fût drôle. »

Et les suggestions sont nombreuses. Ainsi, lors de la scène où Clouseau se coince la main dans la mappemonde, Sellers improvise la réplique : « Regardez, j’ai toute l’Afrique dans le creux de la main, maintenant ! » Dans le film, la scène est coupée juste avant l’éclat de rire de Sellers et Stark (on le devine d’ailleurs sur le visage de ce dernier). À la fin du film, lorsque Clouseau et Hercule décident de synchroniser leurs montres, rien d’autre n’est écrit dans le scénario. Blake Edwards leur demande d’improviser un dialogue. Une seule prise suffit et la scène est hilarante.

Peter Sellers provoque aussi les rires de ses partenaires avec son accent français. A tel point que George Sanders (qui joue M. Ballon) suggère de mettre cinq Livres dans une boîte à chaque gloussement. La somme récoltée à la fin du tournage est conséquente et l’acteur britannique propose de la verser aux propriétaires d’une ferme délabrée, près des studios de Borehamwood, où de vieux chevaux sont laissés à eux-mêmes en attendant la mort. « C’est à ce moment que j’ai pris conscience de l’humanité et de la générosité de George », se souvient Elke Sommer. Mais Blake Edwards applique une autre règle lors du tournage d’une des dernières scènes du film, où Clouseau rassemble tous les occupants de la maison. Sa prononciation du mot « moth » (mite) à la française, « mirth » (mitre), fait éclater de rire l’ensemble des acteurs. C’est un vendredi après-midi et Edwards veut terminer la séquence, afin de démarrer sur autre chose le lundi suivant. Il sort quarante Livres de sa poche et prévient que le prochain fautif doublera cette somme, qui servira à payer une tournée de bière à l’équipe. Sellers est le premier à perdre. Puis le deuxième. Le prochain éclat de rire coûtera cent soixante Livres, ce qui fait réfléchir les comédiens et les pousse à une certaine concentration. Mais Sellers n’y tient plus et obtient d’Edwards de remettre le tournage à la semaine d’après.


Lors de la séquence où Clouseau et Maria Gambrelli s’enfuient en voiture d’un camp nudiste dans le plus simple appareil, Elke Sommer doit faire face à un problème délicat et inédit. Jouant l’hystérie, elle mord l’épaule extrêmement velue de Peter Sellers et se retrouve avec un poil entre les dents ! Hésitant à s’en débarrasser en pleine prise, elle décide d’attendre le « Coupez ! » de Blake Edwards…

« Quand l’inspecteur s’emmêle » sort en juin 1964, trois mois après « La Panthère Rose », et impose définitivement l’inspecteur Clouseau comme un des personnages comiques de l’écran les plus populaires. Malgré cela, il faudra attendre dix ans pour que Peter Sellers l’interprète à nouveau…


[texte paru dans mon livre « Pleins feux sur… la Panthère Rose », édité chez Horizon Illimité (Dragoon) en 2005]


[sources : « Les Cahiers du Cinéma » n°166-167, « La Croix » du 19 mars 1965, « The Independent » du 18 décembre 2004, « Page Théâtre » du 22 avril 1962, « Remembering Peter Sellers » de Graham Stark (Robson Books, 1990), « George Sanders an exhausted life » de Richard Vanderbeets (Robson Books, 1991) et le témoignage de Burt Kwouk]

lundi 21 avril 2008

Zorro (1975)

Après une succession de films oeuvrant dans des genres et des styles très différents (« Traitement de choc », « Les Granges brûlées », « Big Guns », « Deux hommes dans la ville », « Les Seins de glace », « Borsalino & Co »), Alain Delon change encore de cap en 1974. « Je voulais m’offrir le plaisir d’un film dynamique, tonique même, physiquement, sans toute la panoplie d’hémoglobine des policiers. C’est mon fils qui m’en donna l’idée. Zorro est son héros préféré. Depuis « La Tulipe noire » il y a dix ans, je n’avais pas fait de cape et d’épée. Le vengeur masqué et les rebondissements inattendus de ses vertueuses aventures me tentaient. Je pensais aux chevauchées exaltantes, aux duels, aux situations roses et teintées d’humour, à tout ce qui fait vibrer les petits et rêver les grands. »

Une coproduction franco-italienne se met en place, chapeautée par les Artistes Associés, et le scénariste Giorgio Arlorio (« Queimada », « Il Mercenario »…) se met au travail. Il semble évident qu’il est énormément influencé par la série TV produite par Walt Disney et interprétée par Guy Williams. Il reprend ainsi les personnages du sergent Garcia et de Bernardo, qui n’étaient apparus dans les écrits de Johnston McCulley que dans les années quarante (et n’apparaissaient donc pas dans les multiples adaptations réalisées depuis 1920). Le choix du comédien fantaisiste Moustache pour le rôle de Garcia est significatif car sa ressemblance avec le sergent de la série (interprété par Henry Calvin) saute aux yeux. Il en avait d’ailleurs déjà joué en revêtant le costume du personnage pour interpréter en 1972 à la télévision une chanson consacrée à Zorro (« Tu fais la guerre au gros sergent Garcia / Qui n’en peut plus de courir après toi / Il gesticule au milieu des soldats / Nous savons bien que tu l’aimes bien / Zorro, toi notre idole / Champion de la justice et du bon droit… »).

Le grand acteur anglais Stanley Baker (« Les Criminels », « Train d’enfer », « L’Enquête de l’inspecteur Morgan », « Les Canons de Navarone ») incarne le méchant colonel Huerta, tandis que Ottavia Piccolo est, une nouvelle fois, la partenaire d’Alain Delon après « Le Guépard » et « La Veuve Couderc ».



Le tournage se fait en anglais en Espagne (aux alentours de Madrid) à partir de juillet 1974 avec une équipe 100% italienne… enfin presque, puisque les cascadeurs sont français, espagnols et italiens. Et le maître d’armes Yvan Chiffre (déjà doublure de Delon sur « La Tulipe noire ») a bien du mal à les diriger. « La première prise de contact entre les cascadeurs est très chaude –surtout du côté des Latins. Nous sommes tous à table quand un Italien fait une réflexion sur Franco, le dictateur espagnol, toujours au pouvoir à cette époque. Aussitôt les Espagnols se lèvent de table, et l’affaire se termine à coups de poing derrière un camion. Le lendemain, je mets les choses au point : ‘Si on commence à avoir des susceptibilités, le tournage va devenir infernal. Personne ne le souhaite. Donc, pour moi, c’est très clair : soit je ne travaille qu’avec l’équipe française, et vous vous débrouillez, soit on essaie de fonctionner ensemble, en se partageant le travail.’ » Les Espagnols sont donc responsables des cascades à cheval, les Italiens des chutes de hauteur et des acrobaties et les Français des combats à l’épée. Mais l’harmonie n’est que de façade et un cascadeur italien se fera piétiner par les chevaux de gitans espagnols un peu susceptibles…

Le célèbre photographe Jacques-Henri Lartigue vient couvrir le tournage quelques jours. Prend-il sa revanche sur « Borsalino » ? En effet, sur le plateau du film de Jacques Deray, le chargé de publicité René Chateau lui avait interdit de prendre des photos… Delon, en tous cas, l’accueille à bras ouverts. « J’ai été ravi quand on m’a annoncé la venue de Jacques-Henri Lartigue puisqu’il m’a fait l’honneur de venir sur le plateau de « Zorro » pour me photographier. Je considère ça comme une chance et comme un honneur de la part de ce grand artiste, car c’est un grand artiste. »

Douze ans plus tard, Duccio Tessari décrira sans enthousiasme un tournage par trop conventionnel : « (C’était un film) tourné pour Alain Delon ; je savais ce que je devais tourner, c’était carré, professionnel, tourné en Espagne et pendant quatre semaines en studio à Rome. » Pourtant, il semble bien que le plan de travail a été quelques peu bouleversé… A la sortie du film, « Le Film français » assure que « les dépassements sont dus en partie au soin extrême apporté à la mise en scène. » Selon Yvan Chiffre, l’explication est tout autre. Il est un jour convoqué par Delon dans sa caravane où l’attend également le producteur Lombardo. Celui-ci lui demande comment le film peut être sauvé… Devant l’incompréhension du cascadeur, Lombardo s’explique :

« Le film qu’on est en train de faire, ça ne va pas du tout. En fait, c’est Alain qui m’a conseillé de venir nous voir. Pour l’instant, nous avons un film un peu mièvre, avec un peu d’humour et pas mal de longueurs. Ça ne risque pas de s’arranger. Je pense que Duccio Tessari est en train de foutre mon film par terre. Alors ?
-Je ne sais pas…
-Alain m’a dit que vous aviez des idées… Par exemple, je voudrais un duel final extraordinaire… (…) Je voudrais que vous fassiez un duel comme « Scaramouche ».
-Ce n’est pas possible. Le duel de « Scaramouche » a été tourné dans un théâtre, avec un décor spécialement conçu. Le tournage a duré un mois, avec des doublures et les acteurs : ils avaient décidé d’en faire une sorte de masterpiece, quelque chose comme un grand numéro de music-hall à la fin du film.
-C’est exactement ce qu’il me faut. Vous en aurez les moyens. Je vous envoie à Rome voir M. Bulgarelli, le décorateur. Vous lui demanderez exactement ce que vous voulez construire. Je veux un duel gigantesque à la fin de mon film.
»


La construction des décors (cour, couloirs, bibliothèque, escalier, clocher, tour…) prend trois semaines et après des répétitions avec les acteurs et les cascadeurs, le duel est tourné comme Yvan Chiffre l’a imaginé : plein de fougue et d’inventions. Zorro et Huerta s’affrontent à coups d’épées, de haches, de lances et même de torches. La scène durera dix minutes à l’écran.

Le film sortira en mars 1975 en France avec une campagne publicitaire sans précédent. Vingt ans plus tard, Alain Delon faillit bien revêtir de nouveau le masque du justicier masqué. Martin Campbell est alors à la recherche d’un acteur pouvant incarner un vieux Zorro (avant qu’un jeune ne prenne le relais), pour « Le Masque de Zorro » : « J’ai pensé à lui parce qu’il avait le bon âge, qu’il était bon acteur et qu’il avait le cynisme adéquat pour le rôle. Je l’ai donc appelé et suis tombé sur sa femme. Il jouait au théâtre à ce moment-là. J’ai envoyé le scénario, téléphoné encore et encore… et n’ai jamais parlé qu’à sa femme. » Anthony Hopkins interprétera finalement le rôle…


[sources : « Le Film français » n° 1569, « Impact » n°5, « Première » n°260, « Le Piège à l’œil » (Pathé, 1974), « Alain Delon » de Philippe Barbier (PAC, 1982), « A l’ombre des stars » de Yvan Chiffre (Denoël, 1992), « Zorro Unmasked » de Sandra Curtis (Hyperion, 1997)]

lundi 7 avril 2008

Opération Opium (1966)


Le 12 mars 1964, Paul G. Hoffman, directeur général des Fonds Spéciaux des Nations Unies, annonce la mise en chantier prochaine de six téléfilms de 90 minutes, « pour attirer l’attention du public sur les actions sociales et économiques des Nations Unies ». Les réalisateurs impliqués sont Peter Glenville, Stanley Kubrick, Joseph L. Mankiewicz, Otto Preminger, Robert Rossen et Fred Zinnemann. Trois scénaristes sont annoncés : Reginald Rose, Tad Mosel et Peter Stone. Et cinq compositeurs sont prévus : Elmer Bernstein, Henry Mancini, Alex North, André Previn et Richard Rodgers. La société Xerox Corporation (l’inventeur du photocopieur) se propose de sponsoriser et de produire le programme (à hauteur de quatre millions de dollars), qui sera diffusé chaque mois à égalité sur ABC et NBC, à partir de janvier 1965. Dans les mois qui suivent, la John Birch Society, une association d’extrême-droite, tente de faire pression pour empêcher la Xerox de financer le projet. « Nous détestons voir une entreprise de ce pays faire la promotion de l’ONU quand nous savons que l’ONU est au service de la conspiration communiste. » Les neuf mille lettres de protestation reçues au siège de la société n’y changent rien, le projet continue sur sa lancée. Avec pourtant quelques modifications. En septembre 1964, le programme est ramené à cinq téléfilms et seuls Fred Zinnemann et Joseph L. Mankiewicz sont toujours impliqués. Les autres réalisateurs sont remplacés par Alfred Hitchcock, George Sidney et Terence Young.

Mankiewicz réalise « Carol for Another Christmas » d’après Charles Dickens, avec Peter Sellers, Britt Ekland, Sterling Hayden et Ben Gazzara. Ce pamphlet fantastique sur la guerre, est diffusé le 28 décembre 1964 sur ABC. Sidney met ensuite en scène « Who has seen the wind ? » avec Stanley Baker et Edward G. Robinson. Avant même sa diffusion, le 19 février 1965, la Telsun Foundation (créée pour produire la série) annonce que trois téléfilms sont repoussés à l’automne suivant, « car le tournage va prendre beaucoup plus de temps que prévu. » Le projet était-il trop ambitieux à la base ? Toujours est-il que le bateau prend l’eau. Terence Young est le seul à rester dans la course. Le téléfilm suivant, « Once upon a tractor », est réalisé par le cinéaste argentin Leopoldo Torre Nilsson. Interprété par Diane Cilento (l’épouse de Sean Connery), Alan Bates et Jean-Pierre Aumont, il raconte sur le ton de la comédie comment un fermier qui s’est vu refuser un tracteur par le gouvernement américain décide de s’adresser aux Nations Unies. Il n’est diffusé que le 9 Septembre 1965 sur ABC (on est donc loin de la diffusion mensuelle annoncée !). Le même mois débute le tournage de « Opération Opium », qui sera le dernier film produit par Telsun pour le compte de l’ONU.

La dernière trouvaille de Ian Fleming

Lorsqu’il est contacté pour le projet au printemps 1964, Terence Young choisit parmi les sujets proposés celui de la drogue, un fléau qui préoccupe particulièrement l’ONU. Young s’adresse à Ian Fleming, qu’il connaît depuis 1961 (à l’époque de la préproduction de « Dr No »). Le romancier et journaliste britannique qui aime à l’occasion délaisser 007 pour écrire d’autres choses (le roman pour enfants « Chitty Chitty Bang Bang », le recueil de reportages « Thrilling Cities »…) accepte et écrit un synopsis, où il est question d’un chargement d’opium rendu radioactif pour le suivre à la trace. Cette idée est en fait la déclinaison d’un élément révélé dans « Les Contrebandiers du Diamant » (« The Diamond Smugglers »), un livre-enquête publié par Fleming en 1957 sur le trafic de pierres précieuses en Afrique du Sud. Un membre de l’Organisation Internationale de Sécurité de l’Industrie du Diamant lui avait expliqué que le laboratoire de Recherches du Diamant, à Johannesburg, avait « inventé un moyen d’ « étiqueter » les diamants en les peignant avec un vernis radio-actif invisible. On peut ainsi placer sous la terre ou dans la concession certains diamants « étiquetés », pour mettre à l’épreuve l’honnêteté des ouvriers. Si les diamants étiquetés se retrouvent dans la production de la journée à la salle de tri, tout est bien ; si quelqu’un en prend un et essaie de la faire passer en franchissant le tourniquet, une sorte de compteur Geiger donne l’alarme. »

Le 12 août 1964, Ian Fleming meurt à l’hôpital de Canterbury des suites d’une crise cardiaque, à l’âge de 56 ans. Terence Young décide cependant de continuer l’aventure et engage le scénariste Jo Eisinger (avec lequel il vient de travailler sur le film à sketches « Guerre Secrète ») pour transformer la trame initiale en un solide scénario. Mais il doit avant tout composer avec les héritiers de Fleming, qui tentent de contrôler et de freiner les utilisations abusives du nom du romancier, alors que le très attendu « Goldfinger » de Guy Hamilton s’apprête à sortir sur les écrans du monde entier. Le réalisateur obtient le feu vert de Glidrose (la société protectrice des droits de Fleming), à condition que soit bien précisé au générique : « d’après une idée de Ian Fleming ».

Jo Eisinger se souvient du scénario qu’il a écrit en 1960 pour la série « Destination Danger » avec Patrick McGoohan. Dans l’épisode « Poste de confiance », l’agent secret John Drake était révolté par l’état dans lequel la fille d’un de ses amis se trouvait après avoir plongé dans la drogue. Il se rendait alors de sa propre initiative au Moyen-Orient pour récupérer la liste des principaux acheteurs de cargaisons d’opium brut. Pour le film de Terence Young, Eisinger reprend donc « l’idée de Ian Fleming » en l’adaptant à la drogue, ainsi que l’aspect quasi-pédagogique de l’épisode de « Destination Danger » (c’est au reste ce que l’ONU lui demande : écrire une œuvre de propagande).



L’histoire suit Lincoln et Jones, deux inspecteurs du Bureau des Narcotiques de l’ONU, qui tentent de détruire un important réseau de trafic de drogue. Ils s’emparent d’une cargaison d’opium en Iran et la rendent radioactive afin de la suivre à distance. Armés de compteurs Geiger, ils suivent la trace du convoi à travers le désert, mais la perdent brusquement, les trafiquants ayant pris la voie des airs. Ils retrouvent une partie du chargement à Naples et continuent leur progression à Nice et Monte-Carlo. Lincoln est éliminé après avoir été torturé et Jones parvient à retrouver la trace des trafiquants dans le Marseille-Paris et à les éliminer.

La piste aux étoiles

Terence Young est au sommet de sa carrière. Auréolé du succès des « James Bond » (il vient juste de terminer « Opération Tonnerre »), il a la possibilité de tourner de grosses productions comme « Les Aventures amoureuses de Moll Flanders », « Guerre Secrète » ou « Triple Cross ». Il a alors en tête de réaliser « The Poppy Is Also a Flower » (premier titre) pour le cinéma, après un premier passage télé comme le prévoit la Telsun. Il demande à son ami Euan Lloyd (ex-assistant d’Albert Broccoli, devenu producteur avec « Le Dernier Passage » et « Bien joué, Matt Helm ») de le produire. Celui-ci accepte avec joie et souscrit à l’idée d’une exploitation en salles. « J’ai fait la suggestion que si nous pouvions obtenir un casting important, nous pourrions alors sans doute réunir plus de fonds pour le financement. A la Maison-Blanche, j’ai rencontré l’ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, Adlai Stevenson et je l’ai convaincu de la viabilité du projet. Je lui ai demandé une lettre ouverte pour toutes les ressources créatives que nous souhaitions contacter. (...) J’ai alors pris une suite au Beverly Hilton Hotel comme bureau du casting. Terence et moi avions accepté de n’être payés qu’un dollar chacun, comme producteur et réalisateur. Peut-être que quelques stars seraient prêtes à faire de même. Cela valait le coup d’essayer. Bien sûr, les agents à Hollywood nous ont pris pour des fous et nous avons donc contacté les stars directement. J’ai approché celles que je connaissais comme Jack Lemmon, Robert Mitchum ou Victor Mature. Elles étaient déjà prises mais elles ont fait passer le mot que c’était pour la bonne cause et ont encouragé leurs amis à nous aider s’ils le pouvaient. »

Le mot passe si bien que le casting se transforme en rêve de cinéphile : Senta Berger, Stephen Boyd, Yul Brynner, Omar Sharif, Eli Wallach, Angie Dickinson, Hugh Griffith, Jack Hawkins, Rita Hayworth, Trini Lopez, Marcello Mastroianni, E.G. Marshall, Trevor Howard, Anthony Quayle, Gilbert Roland, Harold Sakata et les Français Jean-Claude Pascal et Georges Géret.


De la Riviera à l’Iran

Le dimanche 26 septembre 1965, une conférence de presse se tient aux studios de la Victorine à Nice avec Yul Brynner et Rita Hayworth pour annoncer le début du tournage. L’aspect « philanthropique » du film est mis en avant et relayé par les médias. « Réalisé pour le compte de la Telsun, organisation à but non lucratif constituée afin de mettre sur pied des productions destinées à montrer que les activités de l’ONU ne sont pas essentiellement politiques, les bénéfices du film iront à l’œuvre mondiale de l’enfance déshéritée. Contribuant généreusement à la réalisation de cette superproduction, toutes les vedettes ont accepté de travailler bénévolement pour un dollar symbolique. Yul Brynner devait indiquer que s’il avait fallu payer tous ces artistes à leur juste prix, le plateau serait revenu pour le moins à vingt millions de francs. » Le film est intitulé « Les Fleurs du Mal », en référence au pavot que l’on transforme en héroïne (un titre plus poétique que l’original). Le nom de Fleming n’est pas révélé à ce moment. « Le Film Français » avance qu’il s’agit d’un scénario écrit « d’après une idée de Adlai Stevenson ». Peut-être les pourparlers avec Glidrose ne sont-ils pas encore terminés. Peut-être la Telsun craint-elle que le nom du père de James Bond relègue l’aspect altruiste de l’opération au second plan.

Tout au long du tournage français, le casting semble devoir s’étoffer. On évoque Alberto Sordi et Sterling Hayden. « Le Film Français » affirme fin octobre que « Alain Delon campera le rôle d’un détective français (…). Il avait d’abord été prévu que ce personnage, américain au départ, serait joué par Richard Widmark. » Aucun de ces acteurs n’apparaîtra finalement dans le film. Le seul refus essuyé par Euan Lloyd est le chanteur Harry Belafonte. Il le remplace par Trini Lopez, qui vient jouer son propre rôle et chanter « Lemon Tree » et « La Bamba » au Sporting-Club de Monte-Carlo. Terence Young charge le cascadeur français Yvan Chiffre de régler une séquence de catch féminin et la bagarre finale entre EG Marshall et Gilbert Roland sur la voie ferrée (qui faillit mal tourner, un rouleau d’air l’ayant projeté quatre mètres au-dessus du sol). Le tournage se poursuit ensuite en Iran. La lettre écrite par Adlai Stevenson pour Euan Lloyd permet d’ouvrir toutes les portes, y compris celles du Shah, qui facilite toutes les démarches nécessaires au bon déroulement des prises de vue.

Des héros « vrais »

« The Poppy is also a flower » est diffusé le 22 avril 1966 sur ABC avec une introduction de la princesse Grace Kelly prévenant des dangers de la drogue. Le « New York Times » parle d’un « mélo international vieux jeu ». Il est vrai que le film ne brille pas par son originalité ni par son rythme trépidant. Mais il faut se rappeler qu’il a avant tout un dessein pédagogique et qu’il n’est pas simplement un récit d’aventures. Trevor Howard et EG Marshall donnent une vraie consistance à leurs personnages d’enquêteurs de l’ONU. Ils ne sont pas des ersatz de 007, mais des héros « vrais », c’est à dire plus humains et plus crédibles que peut l’être le célèbre agent secret. Lincoln a dédié sa vie à combattre les trafiquants, pour venger son jeune frère, un athlète d’exception détruit par la drogue. Au « Stromboli », une boîte de Naples, il proposera même à une jeune toxicomane d’essayer une cure de désintoxication, en vain. Sa mort, aux trois-quarts du film, saisit le spectateur et donne encore plus d’authenticité au récit, qui sonne réellement comme ce qu’il est : une campagne anti-drogue.


[Cet article a été à l’origine écrit pour le fanzine « Forgotten Silver » (qui existe aussi en version « blog » : http://forgottensilver.blogspot.com/)]


[sources : « The New York Times » des 13 mars 1964, 21 août 1964 et 11 février 1965, « Le Film Français » n°1112, « Cinema Retro » n°1, « A l’ombre des stars » de Yvan Chiffre (Denoël, 1992)].

vendredi 28 mars 2008

L’Aile ou la cuisse (1976)



Un soir de 1975, Claude Zidi dîne avec des amis au Petit Colombier. « Le garçon me demande à propos d’un poulet : « L’aile ou la cuisse ? » J’ai trouvé que ça ferait un bon titre de film. Avec des amis, nous avons lancé la conversation sur le guide Michelin et sur la ‘malbouffe’ qui commençait à sévir. Ainsi sont nés Duchemin et Tricatel, amalgame entre Borel, l’inventeur des restoroutes, et Ducatel, candidat farfelu aux présidentielles. » Zidi écrit le scénario avec Michel Fabre et rêve de donner le rôle du gastronome Charles Duchemin à Louis de Funès. Mais victime d’une crise cardiaque le 21 mars 1975, alors qu’il devait débuter le tournage du « Crocodile » de Gérard Oury, l’acteur est depuis en convalescence. Affaibli, diminué, amaigri, la rumeur court selon laquelle il ne tournera plus.

Mais le producteur Christian Fechner, alors âgé de 33 ans, en décide autrement. « Pour moi, il était inenvisageable qu’il ne tourne plus et puis j’attendais depuis trop longtemps de tourner avec lui, c’était mon rêve de producteur. Et bien que le médecin des assurances ne nous ait laissé aucun espoir, je suis allé voir le grand patron des assurances de l’époque. Comme j’étais assez jeune et assez inconscient, je l’ai un peu agressé en lui disant qu’il ne pouvait pas décidé comme ça, du jour au lendemain, qu’un homme tel que De Funès ne tournerait plus jamais ! » Il n’obtient que deux semaines de tournage d’assurées, mais cela suffit pour lancer la machine. Zidi ne sera payé que si le film est terminé et les techniciens acceptent de signer des contrats renouvelables de semaine en semaine.

Assez tôt sur le projet, le rôle du fils de Duchemin est destiné à Pierre Richard, avec qui Zidi a déjà tourné « La moutarde me monte au nez » et « La Course à l’échalote ». Mais un mois et demi avant le début du tournage, l’acteur rompt son engagement. « J’ai été déçu par mon rôle, expliquera-t-il plus tard. J’ai senti que si j’acceptais, j’aurais eu l’impression d’aller à l’usine. Et Dieu sait que j’avais envie de tourner avec De Funès ! Mais si le rôle ne me dit rien, je ne peux pas, même si c’est un coup commercial énorme. (…) Louis m’a téléphoné et m’a demandé pourquoi je refusais. Je lui ai répondu que je me faisais une joie de tourner avec lui, mais que je ne voulais pas interpréter ce rôle. Et il me dit « ah bon, le scénario est mauvais ? » Là, je me suis dit qu’il n’avait pas dû le lire. Parce que lui, il savait qu’il se débrouillerait toujours, quelque soit la qualité de la scène, grâce à son talent énorme. Moi je n’avais pas cette faculté. Pour faire rire, j’ai besoin d’une situation. Je ne suis pas capable de lire le bottin en faisant rire. »




Il faut donc lui trouver un remplaçant et Zidi pense rapidement à Coluche, à qui il a donné un petit rôle dans « Le Grand Bazar » en 1973. Le comique triomphe alors sur scène et il n’a jusqu’à présent partagé d’autre affiche que celle des « Vécés étaient fermés de l’intérieur » de Patrice Leconte. Coluche est aux anges, car il vénère Louis de Funès. Reste à convaincre ce dernier. « Je me suis rendu dans son château, près de Nantes, se souvient Claude Zidi. Là, je suis tombé sur sa femme. Sceptique, elle trouvait Coluche vulgaire. Puis arrive De Funès, qui hésite. Surgit alors son fils Olivier qui « emballe » l’affaire : « Ce serait formidable ! Et puis, papa, il est plus drôle que toi ! » » (rires)

Coluche amène avec lui sa « bande », parmi lesquels Martin Lamotte, Gérard Lanvin, Bouboule, Marie-Anne Chazel (tous quatre membre du cirque) et Bruno Moynot (le responsable du tourne-disques). De son côté, Louis de Funès impose Claude Gensac contre l’avis de Claude Zidi qui l’affuble de grosses lunettes et d’une perruque (pour qu’on ne l’assimile pas immédiatement à « la femme de De Funès »). Des partenaires de connaissance comme Dominique Davray (son épouse dans « Le Tatoué »), Max Montavon (le majordome dans « Fantômas contre Scotland Yard ») et Marcel Dalio (le « vrai » Rabbi Jacob) complètent la distribution des seconds rôles tandis que Julien Guiomar interprète avec truculence Jacques Tricatel (le rôle le rendra très populaire : « Je ne peux pas rentrer dans un restaurant sans qu’on me dise ‘J’espère que ça sera meilleur que chez vous, monsieur Tricatel’ ! (rires) »).

Le tournage débute en mai 1976 dans un hangar aménagé près de Trappes car aucun des studios parisiens n’est disponible. Une ambulance et un cardiologue sont là en permanence au cas où… Les journées de travail commencent à 9 heures pour se terminer tôt dans l’après-midi, afin de ménager la star. « En vérité, tout était permis, raconte Fechner. Il fallait éviter d’user et d’abuser du fantastique tempérament de Louis, ne pas lui faire répéter trente-six fois la même scène, trente-six fois les mêmes colères. Bref, il fallait une extraordinaire préparation d’avant-tournage. Je savais qu’avec Zidi, il n’y aurait pas de problème et rien à craindre… »

Les relations entre De Funès et Coluche sont excellentes, ils apprécient de se faire rire l’un l’autre (une scène de cirque où ils sont tous deux maquillés en clowns sera coupée au montage). La mort est même devenue un gag entre eux. « Quand parfois j’arrivais en retard à un rendez-vous, se souvient Coluche, et le priais de m’excuser, j’avais une phrase toute prête à son intention : « Louis, je ne me pensais pas en retard. Je n’avais pas vu votre ambulance au bas de la maison… » L’après-midi, De Funès commençait par faire une petite sieste avant de reprendre le tournage. Un jour, je m’étais déguisé en ange et j’étais parti le réveiller dans sa loge… « Louis, Loulou, vous êtes mort… Vous êtes au ciel… » Il ouvre un œil, simule une fausse colère, puis son visage s’illumine : « Michel, si vous continuez, vous allez effectivement me faire mourir. Mais de rire… » »

L’hôtel particulier de Charles Duchemin se situe dans une cour du 5 place d’Iéna (un an plus tard, un épisode de « Chapeau melon & bottes de cuir » sera tourné au même endroit, « Le Lion et la Licorne »). Le reste du tournage se déroule à La Défense (la tour Manhattan, la brasserie « Le Tourbillon »), Puteaux (rue Marius Jacotot, rue Anatole France, mairie), Dampierre (dans les Yvelines) et au restoroute de Rungis (sur l’A106).

Les prises de vues dureront finalement douze semaines et tout se passera pour le mieux…



[sources : interview de Christian Fechner dans le DVD de « L’Aile ou la cuisse » (Studio Canal, 2002), interview de Pierre Richard sur http://www.dvdrama.com/ (décembre 2005), interview de Claude Zidi dans « Ciné-Live » n°48, interview de Julien Guiomar dans « Féminin présent » du 7 octobre 1980, http://home.nordnet.fr/~anastasiya.petit/ pour les lieux de tournage, « Le Journal du Dimanche » du 17 octobre 1976 et du 30 janvier 1983]

vendredi 21 mars 2008

OSS 117 (Gaumont 1963-1968)

Créé en 1949 par Jean Bruce, le personnage de Hubert Bonisseur de la Bath, agent de la CIA d’origine française, a tout d’abord pris à l’écran les traits de Ivan Desny dans « O.S.S. 117 n'est pas mort » de Jean Sacha (1957). Puis, Michel Piccoli l’incarna dans « Le Bal des Espions » de Michel Clément (1960), mais son nom (sans doute pour des raisons de droits) fut transformé en Bryan Cannon. Ces films n’ont pas marqué les esprist de l’époque et il faudra attendre André Hunebelle pour que cela change…



« OSS 117 se déchaîne » (1963)

1963 marque la mort et la résurrection de OSS 117. Son créateur disparaît dans un accident de la route (après avoir écrit « OSS 117 à Mexico »), tandis qu’au cinéma, André Hunebelle lance la série de films à succès inspirés de ses aventures. Selon Mylène Demongeot, c’est Jean Marais qui « avait déniché les OSS 117 de Jean Bruce et avait suggéré à André Hunebelle de les adapter au cinéma avec lui-même en vedette. » L’idée enthousiasme le cinéaste, qui avait beaucoup apprécié « O.S.S. 117 n’est pas mort ». Il apprend de Jean Sacha que les droits des romans sont libres et que Jean Bruce souhaite revoir son héros à l’écran. En coproduction avec l’Italie, il met en chantier une adaptation de « OSS 117 prend le maquis », intitulée « OSS 117 se déchaîne », mais… sans Jean Marais. Sans doute pour faciliter les ventes du film à l’étranger, Hunebelle lui préfère un acteur américain, Kervin Mathews. Mécontent et déçu, Marais se voit offrir en guise de compensation le double rôle de Fantômas-Fandor (destiné à l’origine à Raymond Pellegrin, qui dut se contenter de prêter sa voix au célèbre criminel !). Mathews est un habitué des rôles de héros (« Le Septième Voyage de Sinbad », « Les Voyages de Gulliver ») et a le physique idéal pour incarner OSS 117. Il en fera un charmeur, à la fois détaché et déterminé.

« OSS 117 se déchaîne » comporte de très bonnes scènes d’action, qui sont les premières du genre. André Hunebelle a en effet introduit les arts martiaux dans le cinéma français, alors habitué aux « bourre-pifs » administrés par Eddie Constantine et Lino Ventura. Les bagarres se font plus subtiles, plus vicieuses aussi, avec des coups fatals portés à la gorge ou aux tempes. Claude Carliez règle les combats (comme il le fait sur la majorité des productions de l’époque, qu’il s’agisse de luttes au corps ou de duels à l’épée). Le cascadeur Yvan Chiffre, qui est un de ses assistants (et qui joue dans le film un agent secret français), apprend le karaté et le kendo « chez Cocatre, à la République, un des rares maîtres de karaté à Paris, et sans doute un des meilleurs ». S’il est souvent doublé, Kerwin Mathews ne s’en tire pas mal dans certaines séquences, notamment une l’opposant à Marc Mazzacurati.


Les scènes de bagarre sous-marines préfigurent celles de James Bond et ont été réalisées par Alain Boisnard, qui a officié de la même façon sur « Tintin et le Mystère de la Toison d’Or » de Jean-Jacques Vierne, avant de devenir le conseiller technique maritime d’André Hunebelle pour la séquence finale de « Fantômas ». Tourné à Bonifacio et à Nice, « OSS 117 se déchaîne » ne bénéficie pas de gros moyens. Le noir et blanc ne rend pas non plus l’enquête d’Hubert très excitante visuellement, mais le film est quasi-expérimental, car le succès d’une telle aventure n’est pas encore assuré. Il sort en France la même année que « Coplan prend des risques » de Maurice Labro (le premier des cinq films adaptés de Paul Kenny) et surtout « James Bond contre Dr No » de Terence Young. La grande mode de l’« espionnite » était lancée.


« Banco à Bangkok pour OSS 117 » (1964)

Pour la deuxième aventure de OSS 117, les producteurs revoient le budget à la hausse : pellicule couleur, tournage en extérieurs (en Thaïlande), décors imposants (construits par René Moulaert aux studios de Boulogne), vedettes (Robert Hossein, Dominique Wilms). C’est finalement dans « Banco à Bangkok pour OSS 117 » qu’Hubert Bonisseur de la Bath se déchaîne ! Inspiré de « Lila de Calcutta », le film lance l’agent de la CIA sur les traces d’une mystérieuse organisation, dirigée par le Dr Sinn (« Le rôle était génial ! », se souvient Robert Hossein), spécialiste des maladies psychiatriques et « chouchou » de la jet set de Bangkok. Celui-ci se prépare à répandre le virus de la peste à travers le monde.

Son discours apocalyptique devant ses fidèles est mémorable : « L’heure est venue où, pour la dignité de l’Homme, des millions d’hommes doivent périr. Des nations peu évoluées, aux philosophies primaires, risquent à tout moment par leurs criminelles expériences atomiques de provoquer la désagrégation de notre planète. Notre devoir est de les détruire, pour que demeure seule la spiritualité d’une civilisation millénaire. Alors, et alors seulement, nous aurons atteint notre but. La victoire de ceux qui ont le courage de cesser d’être humain pour que triomphe la cause de la race élue. »



Il semble évident que les auteurs avaient en tête « James Bond contre Dr No » en écrivant l’histoire. L’enchaînement des premières scènes rappelle en effet beaucoup le film de Terence Young : l’élimination d’un agent, la présence d’un photographe à l’aéroport, la secrétaire qui écoute aux portes, l’homme de main qui choisit de se tuer pour ne pas parler… Parmi les scénaristes de « Banco à Bangkok pour OSS 117 » se trouve Richard Caron, auteur de nombreux romans d’espionnage (parus notamment aux Presses de la Cité dans la collection « Jean Bruce ») et créateur du héros TTX 75.

Il est agréable de retrouver Dominique Wilms, qui avait « vampé » Lemmy Caution dans « La Môme Vert-de-gris » de Bernard Borderie, dix ans auparavant. Robert Hossein, qui tourne la même année « Angélique, Marquise des Anges », reviendra dans « Pas de roses pour OSS 117 » en 1968. Quant à Henri Virlogeux, qui joue ici le contact d’Hubert à Bangkok, il prêtera sa voix à Colin Drake dans « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 ». Signalons enfin la figuration de Michel Magne, qui danse au Golden Dragon.


« Furia à Bahia pour OSS 117 » (1965)

Après « Banco à Bangkok pour OSS 117 », André Hunebelle crée la franchise « Fantômas », qui va vite elle aussi loucher du côté de James Bond, mais également de OSS 117. Le titre du deuxième film, « Fantômas se déchaîne » reprend celui du premier Kerwin Mathews, tandis que le canon à ondes télépathiques s’inspire de la machine du Dr Sinn de « Banco à Bangkok… ». Pour « Furia à Bahia pour OSS 117 », Hunebelle va également utiliser deux des principaux comédiens de son autre série : Mylène Demongeot (Hélène, la compagne de Fandor) et Raymond Pellegrin (la voix de Fantômas).

Pour la nouvelle mission du héros de Jean Bruce, un problème de casting se pose. Les exigences financières de Kerwin Mathews sont trop élevées et il est décidé de le remplacer. Le choix ne se porte pas sur l’un des nombreux acteurs américains venus tenter leur chance à Paris ou à Rome (Ken Clark, Richard Harrison, Sean Flynn, Lex Barker, Ray Danton, George Nader…) mais sur un inconnu, qui plus est autrichien et sans expérience de la comédie. Son nom : Frederick Stafford. Jean-Pierre Desagnat, qui fut assistant-réalisateur sur plusieurs films d’André Hunebelle et qui réalisera « Pas de Roses Pour OSS 117 », se souvient de lui : « A l’origine, Stafford n’était pas acteur. De son vrai nom Frederich Strobl von Stein, ce noble autrichien était représentant en produits pharmaceutiques et était marié à l’actrice Marianne Hold, connue pour son interprétation de « Marianne de ma Jeunesse » de Julien Duvivier. Elle tournait alors à Bangkok et Frederick l’accompagnait. Sigmund Graa, le secrétaire d’Hunebelle, fit sa connaissance et de retour à Paris, proposa des essais au cinéaste, qui avait apprécié sa grande silhouette sportive ».

Autrichien né le 11 mars 1928 en Tchécoslovaquie, Stafford vécut longtemps en Australie, avant de revenir s’installer en Europe. Très athlétique, il participe aux compétitions de hockey sur glace à Davos en 1947 et aux épreuves de natation aux Jeux Olympiques de 1948. Une fois choisi pour interpréter Hubert Bonisseur de la Bath, il suit des cours de français, de diction, de judo et de karaté. « Ce n’est pas du tout un acteur », constate Mylène Demongeot. « Il est raide comme une potiche, mais c’est un bel homme, très grand et très gentil. » Malgré son handicap de départ, Frederick Stafford va très bien s’en sortir, aidé par un physique avantageux et une aisance évidente dans les scènes d’action.



En prenant pour base le roman « Dernier Quart d’Heure », André Hunebelle, son fils Jean Halain, et Pierre Foucaud envoient Hubert Bonisseur de la Bath au Brésil, pour démanteler un réseau terroriste responsable d’attentats sanglants contre d’importantes personnalités sud-américaines. Après avoir échappé à plusieurs pièges, il met en échec les plans d’un néo-nazi (François Maistre, apparu dans « Le Bal des Espions »), qui veut dominer le monde grâce à des tueurs téléguidés.

Comme sur le film précédent, les tournages des extérieurs sont assurés par Jacques Besnard. Il avait débuté comme assistant-réalisateur sur « OSS 117 se déchaîne » avant de devenir réalisateur de seconde équipe sur les deux premiers « Fantômas ». Il deviendra cinéaste, dirigeant notamment Frederick Stafford dans « Estouffade à la Caraïbe » en 1967 (une production André Hunebelle).

Dans le dossier de presse du film suivant, on pouvait lire : « Quand les lumières s’allumèrent à nouveau après la première projection de « Furia à Bahia pour OSS 117 » au cinéma Normandie, Paris comptait une vedette de plus. Frederick Stafford venait d’être projeté au firmament des stars grâce à André Hunebelle. » Auréolé de ce succès, l’acteur débutant devenu célèbre du jour au lendemain s’envole pour le Liban pour y tourner un film au titre plus que révélateur, « Baroud à Beyrouth par FBI 505 » de Manfred Köhler. Un film aujourd’hui complètement oublié…


« Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 » (1966)

OSS 117 a désormais d’innombrables concurrents. La France et l’Italie se sont mises à produire des films d’espionnage par centaines : « Bob Fleming, Mission Casablanca », « Karaté à Tanger pour agent Z7 », « Baraka sur X-13 », « Coplan FX-18 casse tout », etc. Jean Marais lui-même, sans doute frustré de n’avoir pas obtenu le rôle d’Hubert Bonisseur de la Bath, se transforme en espion dans « L’Honorable Stanislas, Agent Secret », « Pleins Feux sur Stanislas » et « Train d’Enfer ».

Mais le « patron » dans ce domaine reste toujours James Bond. André Hunebelle a alors l’idée de faire appel à Terence Young pour coécrire avec Pierre Foucaud l’adaptation de « Atout Cœur à Tokyo » (n°47). Considéré comme le père cinématographique de 007, cet Anglais francophile a réalisé « James Bond contre Dr No » (1962), « Bons Baisers de Russie » (1963) et « Opération Tonnerre » (1965). Seulement voilà, malgré son nom au générique, il semble que la nature de son apport reste un mystère. Certains des membres de l’équipe, quand on leur pose la question aujourd’hui, sont même étonnés d’apprendre sa participation au film. S’il est crédité comme adaptateur à la SACD (Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques), Terence Young n’a toutefois perçu aucune rétribution (le Centre National du Cinéma ne possède en effet pas de contrat à son nom). Pour Vincent Chenille (de « Archives 007 »), cependant, « une scène possède vraiment la touche Young, celle où OSS tente d’étrangler un méchant avec le fil du téléphone. Le méchant se défend et Hubert tire le fil, projetant l’ennemi par la fenêtre, et le voici « pendu au téléphone ». Bien qu’il reproche à Bond son sadisme, Young adore l’humour noir. »

Même s’il n’était pas nécessaire de s’adjoindre les services de Young pour cela, le scénario (assez éloigné du roman) offre beaucoup de similitudes avec « Opération Tonnerre ». L’organisation qui fait chanter les Etats-Unis en menaçant de détruire des bases militaires n’est pas sans rappeler l’opération menée par le SPECTRE contre l’Otan. Et un des personnages se nomme Vargas, comme l’homme de main d’Emilio Largo. On remarque aussi que « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 » donnera des idées au James Bond suivant, « On ne vit que deux fois », qui sortira en 1967 : la scène du massage, la collaboration avec une espionne japonaise (que l’on prend d’abord pour un agent ennemi) ou encore l’association d’une organisation criminelle avec un groupe industriel.


Occupé par la préparation du film « Sous le signe de Monte Cristo » (une adaptation moderne du roman d’Alexandre Dumas), André Hunebelle n’assure pas la réalisation, qui est confiée à Michel Boisrond, jusqu’alors plutôt spécialisé dans les comédies. Est-ce grâce à sa direction d’acteur, toujours est-il que devant sa caméra, Frederick Stafford est de plus en plus convaincant. Tour à tour décontracté, violent et calculateur, il donne à OSS 117 sa meilleure interprétation, tous films confondus. Il excelle dans les scènes de combat, extrêmement spectaculaires. Face à lui, Marina Vlady (qui vient de tourner avec Roger Vadim et Orson Welles) est parfaite en femme manipulée, menant double jeu aux yeux de la CIA. Henri Serre apporte toute son austérité et son élégance au personnage trouble de John Wilson (il aura un rôle proche dans « Fantômas contre Scotland Yard »). Et Jacques Legras intervient là où on ne l’attend pas, en tueur japonais !

On remarquera la qualité des décors de Max Douy. Sur les « Fantômas », André Hunebelle lui avait demandé de faire de la « science-fiction à la bonne franquette ». L’ambiance est évidemment différente sur « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 » mais le décor de l’intérieur du cargo, d’où partent les mini-fusées, n’est pas sans rappeler celui de « Fantômas se déchaîne » où les scientifiques sont retenus prisonniers.

A noter enfin que Claude Sautet participa lui aussi au scénario sans être crédité.



« Pas de Roses pour OSS 117 » (1968)

Le nouvel OSS 117 sort presque deux ans après le précédent. Entre temps, Hunebelle a réalisé « Fantômas contre Scotland Yard », qui clôture la série. « Sur le plateau, on sentait qu’une époque du cinéma français se terminait », se souvient Michel Wyn, alors réalisateur de seconde équipe. « Hunebelle avait soixante-dix ans. Avec les techniciens, notre plaisanterie préférée était : « Qui est donc ce vieux monsieur à chapeau qui nous suit partout ? » (rires) La télévision changeait la donne, le cinéma de genre à l’ancienne se délitait ». La chose se vérifie sur « Coplan sauve sa peau » réalisé par le jeune Yves Boisset. Profitant de l’absence des producteurs sur le tournage (en Turquie), il transforme une banale histoire d’espionnage en film fantastique inspiré de la « Chasse du Comte Zaroff » !

S’il est moins subversif, « Pas de Roses pour OSS 117 » est cependant lui aussi réalisé par un jeune cinéaste, Jean-Pierre Desagnat. Le générique affirme cependant que le film est signé Hunebelle ! Ce mensonge est dû aux distributeurs qui, pour des raisons commerciales, ont préféré ne pas inquiéter le public par un changement de direction. Assistant-réalisateur sur les « Fantômas » et « Atout Cœur à Tokyo pour OSS 117 », Desagnat s’est vu proposer par Hunebelle de mettre en scène « Les Etrangers » écrit par Pascal Jardin. Pendant la préparation de ce film policier, le projet « OSS 117 » s’est présenté et Desagnat en a accepté la réalisation.

Autre inexactitude du générique : le film serait l’adaptation par Michel Levine et Pierre Foucaud du roman de Josette Bruce « Pas de Roses à Ispahan pour OSS 117 ». La réalité est tout autre. Jean-Pierre Desagnat et Pascal Jardin écrivent un premier scénario original, qui déplaît au coproducteur italien Marcello Danon, par son côté « comédie ». Vient ensuite le tour de Michel Lebrun. Surnommé le « Pape du Polar », ce romancier est également scénariste et a même travaillé sur « Banco à Bangkok pour OSS 117 » et « Furia à Bahia pour OSS 117 » (sans être mentionné au générique). Son adaptation n’est qu’une première étape. Desagnat collabore ensuite avec Michel Levine, tandis que Claude Sautet est consulté. Plusieurs discussions s’engagent finalement avec Pierre Foucaud et surtout André Hunebelle.



« L’écriture avec Hunebelle était une activité passionnante, se souvient Jean-Pierre Desagnat. Il avait gardé une âme d’enfant (dans le bon sens du terme) et une naïveté sur l’existence, malgré ses soixante-douze printemps à cette époque. Ouvert à toutes suggestions, il avait une vision positive des images et des situations. C’était un réel plaisir que de travailler à ses côtés. »

Le scénario est enfin accepté et donne une histoire assez délirante, où OSS 117, pour lutter contre une organisation responsable de plusieurs meurtres politiques, se fait recruter par le chef, surnommé « Le Major », après avoir subi une opération chirurgicale lui donnant le visage d’un célèbre assassin (une idée inspirée du roman « OSS 117 n’était pas mort » n°22). Josette Bruce s’inspirera du scénario pour signer « Pas de Roses à Ispahan pour OSS 117 », publié en 1967 (avant même la sortie du film).

Depuis son deuxième « OSS 117 », Frederick Stafford ne s’arrête pas de tourner. Il a retrouvé Michel Boisrond pour « L’Homme qui valait des milliards », et donné la réplique à Jean Seberg dans « Estouffade à la Caraïbe » et à Daniela Bianchi dans « La Gloire des Canailles ». Il ne se retrouve donc pas sans emploi lorsqu’André Hunebelle décide de le remplacer. Le cinéaste-producteur a en effet en tête de trouver un acteur susceptible de toucher le public nord-américain. Son choix se porte sur John Gavin. De son vrai nom Jack Anthony Golenor, il a à son actif quelques grands films comme « Le Temps d’aimer et le temps de mourir » (1958), « Spartacus » (1960) ou « Psychose » (1960). Il est le premier OSS 117 à parler avec un accent américain. « Le nouvel OSS, John Gavin, est pour une fois tout à fait crédible », écrit Claude-Marie Trémois dans « Télérama ». « Séduisant, l’air d’être capable de penser (c’est rare), et non moins capable de se servir de ses poings. » On peut cependant regretter qu’il soit beaucoup moins sophistiqué que ses prédécesseurs, qui étaient plus fins, plus anglais, plus « bondiens ». Cela n’empêchera pas Gavin d’obtenir deux ans plus tard… le rôle de James Bond dans « Les diamants sont éternels » ! Le producteur Albert Broccoli voit en lui l’interprète idéal : « grand, athlétique et très bon acteur ». Malheureusement, la United Artists parvient à convaincre Sean Connery de rendosser le smoking une dernière fois et Gavin est remercié (non sans avoir touché intégralement son cachet).

Le tournage initialement prévu en Iran, se déroule en fin de compte en Tunisie et à Rome. Quatre ans après « Banco à Bangkok pour OSS 117 », Robert Hossein retrouve un personnage de médecin pour le moins peu recommandable. 1968 marque également pour lui la fin de la série des « Angélique ». Curd Jurgens (« L’espion qui m’aimait ») interprète le « Major ». Luciana Paluzzi (« Opération Tonnerre ») et Margaret Lee (« Fureur sur le Bosphore », « Le Tigre se parfume à la Dynamite », « Coplan sauve sa peau »...) assurent le cota de charme.

L’absence de participation de l’équipe habituelle (Michel Magne, Max Douy, Claude Carliez, etc.) et l’atmosphère réaliste du film (tant au niveau de l’image que des décors) placent un peu « Pas de Roses pour OSS 117 » en marge de la série. Il rencontre un succès moyen en France et n’est pas distribué outre-Atlantique, malgré la présence de John Gavin. André Hunebelle comprend que la vague de l’espionnage touche à sa fin et qu’il est temps de passer à autre chose.


(texte écrit à l’origine (et remanié depuis pour le blog) pour un livre sur OSS 117 devant paraître chez DLM en 1996 et finalement inséré dans le coffret DVD édité par Gaumont en 2005)



[sources : témoignage de Jean-Pierre Desagnat, « Archives 007 » n°3, « Télérama » n°969, « Robert Hossein, le Diable Boiteux » de Henry-Jean Servat (éd. du Rocher, 1991), « A l’Ombre des Stars » d’Yvan Chiffre (Denoël, 1992), « When the Snow Melts » de Cubby Broccoli et Donald Zec (Boxtree, Londres, 1998), « Tiroirs Secrets » de Mylène Demongeot (Le Pré aux Clercs, 2001), livret du CD « Fantômas » (Universal, 2001)]

jeudi 20 mars 2008

« On l’appelle Trinita » (1970)



Souvent imité, voire plagié, « On l’appelle Trinita » a fait de Terence Hill et Bud Spencer des stars, les installant définitivement aux yeux du public comme un duo comique. Ironie de l’histoire, ce film n’a pas été à l’origine conçu pour eux. Mais plus étonnant encore, le scénario était écrit depuis 1966, époque où le western italien venait de prendre son envol et n’avait pas encore viré vers la parodie. L’auteur du script, Enzo Barboni, avait débuté comme caméraman avant de devenir directeur de la photographie, travaillant fréquemment avec le cinéaste Sergio Corbucci (« Romulus et Remus », « Le Fils de Spartacus », « Massacre au Grand Canyon »…). Il a alors en tête de passer à la réalisation et écrit l’histoire de Trinita, qu’il propose à Franco Nero sur le tournage de « Django » en 1966.

« Il avait toujours son script avec lui quand il réglait les lumières, se souvient l’acteur, et il me disait tout le temps : « Franco, lis ça, s’il te plaît… et Trinita par-ci… et Trinita par-là… » Je lui ai dit : « Ecoute, je dois partir en Amérique tourner Camelot (Ndla : une comédie musicale chevaleresque de Joshua Logan), je ne pourrai pas le faire. Alors, ils ont pris un acteur qui me ressemblait, c’était Terence Hill… au début, tout le monde pensait que Franco Nero avait changé de nom. »

En réalité, le choix de Terence Hill ne s’est pas fait de façon aussi prompte. Lorsqu’il tourne « On l’appelle Trinita », Hill est déjà reconnu comme vedette de westerns depuis trois ans, même s’il se place derrière Clint Eastwood, Franco Nero et Tomas Milian. Et lorsque son projet se concrétise, Barboni a de toute façon un autre acteur en tête (Peter Martell). « A l’époque, se souvient Terence Hill, Bud et moi voulions faire un film avec le producteur Italo Zingarelli, mais nous ne trouvions pas le scénario idéal. C’est à ce moment-là que Barboni a soumis le sien… »


Mais le film ne s’est pas monté aussi facilement qu’on pourrait l’imaginer. « Personne ne voulait faire « Trinita », raconte Hill. Tout le monde trouvait qu’il y avait trop de dialogue. Et d’une certaine façon, c’est moi qui ai imposé l’idée du film. » Il est vrai que le western italien ne se caractérise pas par une profusion de répliques, la parole étant surtout donnée aux Colts. De plus, les westerns non-violents ne sont pas à l’époque vraiment à la mode. « Le Bon, la Brute et le Truand » a été qualifié à sa sortie par le New York Times de « supermarché du sadisme » et les scènes de torture et de souffrance sont récurrentes chez Sergio Corbucci (« Navajo Joe », « Le Grand Silence », « Le Spécialiste »). Aussi, un film où l’on parle beaucoup et où l’on distribue des claques ne semble pas promis à un bel avenir.

« J’ai immédiatement adoré le personnage de Trinita, qui est une sorte de hippie », se souvient son interprète. Souriant, décontracté, mais néanmoins canaille, Trinita lui offre la possibilité de changer de registre. Hill fait de son personnage un indécrottable paresseux, qui dort sur un lit traîné par son cheval, une idée reprise de « Dieu pardonne moi pas », dans lequel Cat avait installé sur sa monture une sorte de dossier lui permettant de se reposer tout en avançant. De « La Colline des Bottes » vient également la base du fonctionnement du duo : Hill débusque Spencer dans sa retraite et l’entraîne dans une histoire mouvementée, à la grande exaspération de ce dernier.

Mais surtout, « On l’appelle Trinita » met en place ce qui deviendra une constante dans les films à venir (voire une des raisons du succès) : les bagarres. Terence Hill utilise ce qu’il a sous la main (bâtons, poêles, chaises) et Bud Spencer se déchaîne avec ses coups de poings-marteaux (notamment sur Remo Capitani, qui interprète Mezcal, le bandit mexicain). Giorgio Ubaldi, crédité comme assistant-réalisateur, s’est chargé de régler la grande bagarre finale entre les Mormons et les hommes du Major. Dix jours de tournage ont été nécessaires pour cette séquence, qui, à l’écran, dure cinq bonnes minutes.

« On l’appelle Trinita » ne bénéficie pas d’un énorme budget, qui aurait permis de tourner en Espagne comme la plupart des westerns à l’époque. Enzo Barboni pose donc ses caméras en Italie : la ville a été reconstituée aux studios de Paolis près de Rome, la vallée où s’installent les Mormons se situe dans le parc naturel de Monte Simbruini et la rivière où se baignent Trinita et les deux jeunes filles se trouve au parc de la Valle del Treja.

Le rôle du méchant Major Harriman est joué par Farley Granger, qui avait connu la célébrité grâce à deux films d’Alfred Hitchcock, « La Corde » (1948) et « L’Inconnu du Nord-Express » (1951). Sa première expérience italienne remontait à Senso de Luchino Visconti (1954). En ce début de décennie soixante-dix, Granger tourne à Rome des films moins prestigieux, comme « L’Ame Infernale », « La peau qui brûle » ou « La Peur au Ventre ». Sur le plateau de « … Trinita », il s’adonne à la boisson, n’hésitant pas à déchirer le scénario de Barboni en mille morceaux. Après être apparu dans « Les 4 de l’Avé Maria », Steffen Zacharias retrouvait les deux acteurs dans le rôle de Jonathan, l’adjoint du shérif. On l’a aussi vu au côté de Bud Spencer dans « Cinq hommes armés » (1969) et « Les anges mangent aussi des fayots » (1973), et de Terence Hill dans « El Magnifico » (1972). A noter encore la brève apparition du fils de Terence Hill, Jess, alors âgé de deux ans ! Il écrira le scénario de « Petit Papa Baston » en 1994.

« On l’appelle Trinita » sort en Italie en décembre 1970 et obtient un triomphe. Le public se rue en masse et rit à gorge déployée des exploits des deux demi-frères, au grand étonnement des auteurs, qui pensaient simplement avoir réalisé un film non-violent teinté d’ironie. « Personne, ni moi, ni Enzo Barboni, ne se doutait que (le film) serait comique à ce point, reconnaît Terence Hill. Il n’y a pas eu de décision consciente dans l’orientation comique de ma carrière. C’est l’œuvre de la Providence ! » Tout de même, la Providence a été un peu aidée car le film est délibérément tourné vers la comédie, et il semble évident que Enzo Barboni a voulu parodier le western italien. L’arrivée en ville de deux tueurs caricaturaux vêtus de noirs (dont l’un s’appelle Mortimer, comme Lee Van Cleef dans « Et pour quelques dollars de plus »), au son d’une trompette « morriconienne », est assez significative. Et la scène où Bud Spencer abat trois hommes face à lui est très « eastwoodienne » (ou « leonienne », au choix).


Mais le plus surpris par le succès comique du film est Sergio Leone, alors en pleine préparation de « Il était une fois la révolution » : « Le jour où je vis le premier « Trinita », je me suis mis à douter de ma santé mentale. Je pensais être devenu idiot. J’entendais le public hurler de rire. Je ne comprenais pas pourquoi il rigolait. Ce que je voyais me paraissait nul, mal foutu, vraiment mauvais. Je ne saisissais pas pourquoi un adulte pouvait s’amuser devant une telle connerie. » Plus tard, Leone se servira du personnage de Trinita pour « Mon nom est Personne », une réflexion sur le western italien et les mythes.

« N’en déplaise aux détracteurs », écrit Jean-François Giré dans sa bible sur le western européen (« Il était une fois… le western européen »), « Trinita, antithèse des personnages ténébreux au regard de glace, aura compté dans la mythologie (dans l’aventure esthétique) du western européen, sans doute bien malgré lui, peu importe ; ce sont aussi les hasards qui fondent la mémoire mythologie d’un genre. »



[sources : « Starfix » n°13, « Giallo Pages » #3 (1994), « Amarcord » n°7 (1997), « Conversation avec Sergio Leone » de Noël Simsolo (éd. Cahiers du Cinéma, 1999), « Il était une fois… le western européen » (Dreamland, 2002)]

« Le Professionnel » (1981)

Après « Flic ou voyou » et « Le Guignolo », tous deux réalisés par Georges Lautner, Jean-Paul Belmondo (alors au faîte de sa gloire) a pour projet de tourner « Barracuda » de Yves Boisset, un film d’aventures se déroulant aux Caraïbes et inspiré en partie par l’affaire Claustre (l’enlèvement d’une Française, retenue en otage au Tchad de 1974 à 1977, qui se transforma en affaire d’état). Mais les deux hommes ne parviennent pas à s’entendre. « Il y a eu, disons, incompatibilité de conception sur le projet, rapporte Boisset. Après avoir travaillé six à sept mois sur le scénario et fait des repérages aux Antilles, on ne s’est pas mis d’accord sur le scénario : Belmondo voulait faire un film d’aventure et se refusait à toute allusion à l’affaire Claustre. Moi, au contraire, j’avais envie de réaliser à la fois un film d’action qui mettrait le doigt sur certains aspects obscurs de cette affaire. » Alexandre Mnouchkine, le producteur attitré de Belmondo (depuis « Cartouche »), n’est pas intéressé lui non plus par « Barracuda » et propose à Yves Boisset d’adapter pour sa vedette un roman de l’Anglais Patrick Alexander, « Mort d’une bête à la peau fragile » (paru en 1978 chez Gallimard).

Le cinéaste refuse mais Belmondo suit les conseils de son producteur. « Je trouvais le livre très bon et comme je voulais faire, derrière « Le Guignolo », quelque chose de plus grave, et que je voulais revenir au policier… » Tout naturellement, le film est proposé à Georges Lautner qui est libre pour entamer la préproduction. Michel Audiard s’attelle au scénario et aux dialogues. Le roman, qui se déroule en Angleterre, doit être « francisé » mais hormis ce détail, le script final suit à la lettre l’histoire originale. Certaines répliques viennent même directement du livre. Pourtant, la première version proposée ne semblait pas convenir, comme s’en souvient Lautner : « L’adaptation était partie sur une fausse route et quinze jours avant le film, on a eu le choix entre arrêter le film et le corriger. On l’a corrigée avec Jacques Audiard et l’équipe. »


De l’Afrique (?) à Paris

Le tournage débute en mai 1981 en Camargue avec les scènes africaines de la détention de Joss Beaumont, agent secret français envoyé pour assassiner le dictateur N’Jala puis trahi par sa hiérarchie. Des étudiants noirs de l’université de Montpellier sont engagés pour faire de la figuration. Le décor du village attaqué par l’armée pose problème au metteur en scène. « En retard sur le scénario, je n’ai pas pu surveiller les travaux et je n’ai pas pu arriver sur place avant la veille du tournage. Le village était très bien fait, mais les cases étaient trop éloignées les unes des autres. Impossible d’en avoir au moins deux dans le même cadre. Si je voulais la présence du village, il fallait que je m’éloigne. Je me suis posté à cinq cents mètres avec un téléobjectif sur la caméra. Tous les plans de cette séquence sont tournés au téléobjectif. C’est ce qui lui donne ce grain particulier, ce côté documentaire. Finalement, un incident peut parfois nous obliger à trouver des solutions système Démerde qui peuvent être meilleures que celles envisagées. » A propos de la partie africaine, le pays désigné dans le film est imaginaire, le Malagawi. Or, le résumé du dossier de presse (et tous ceux qui ont suivi depuis vingt-cinq ans !) parle du Malawi, authentique pays africain commandé alors par un dictateur, président à vie. Le nom devait figurer dans le scénario avant d’être modifié sur le tournage.

L’équipe rejoint ensuite Paris pour de nombreuses scènes en extérieurs (Gare du Nord, 5 rue des Eaux –l’appartement de Beaumont, l’hôtel Intercontinental, etc.) dont la moindre n’est pas celle de la poursuite en voitures réglée par Rémy Julienne sur le parvis et les escaliers du Trocadéro ! Les autorisations tardant à venir, Belmondo fait intervenir son père Paul, sculpteur membre de l’Académie des Beaux-Arts, qui rend la chose possible. Les intérieurs sont tournés aux studios d’Epinay. Jean-Pierre Lavoignat assiste pour « Première » aux scènes se déroulant dans l’ancien appartement de Joss Beaumont. « C’est la journée catastrophe : un projecteur tombe sur le plateau dans un fracas épouvantable. Le miroir de la luxueuse salle de bains que l’on déplace pour faciliter un mouvement de caméra vole en éclats. Un cadre tombe du mur. Belmondo, dans une tirade de noms de gangsters –ou de flics, qui sait ?- (Ndla : Beaumont énumère à sa femme les noms des principaux protagonistes de l’affaire) en oublie toujours un, toujours le même – tant et si bien que cela tourne au gag, malgré les prises successives !... »


La bande à Bébel

Comme souvent, le casting est « solide ». « Le problème dans beaucoup de films que j’ai tournés, explique Belmondo, c’est que très souvent, je n’ai pas eu face à moi de méchants qui faisaient le poids. J’ai donc suggéré aux producteurs d’engager Robert Hossein, afin de me retrouver confronté à un acteur d’envergure me donnant beaucoup de fil à retordre. » (Tout de même, Omar Sharif dans « Le Casse », « Bruno Cremer » dans « L’Alpagueur » ou Adalberto-Maria Merli dans « Peur sur la ville » étaient carrément à la hauteur !) Hossein, avec qui il a tourné dix ans auparavant « Le Casse », se révèle un redoutable commissaire Rosen, flic violent prêt à tout pour neutraliser Beaumont. « Le Professionnel » marque aussi les retrouvailles de Belmondo avec d’autres acteurs comme Jean Desailly (« Le Doulos »), Elizabeth Margoni (« Le Corps de mon ennemi ») et son ami de toujours Michel Beaune.

Bernard-Pierre Donnadieu incarne l’inspecteur auxiliaire Farge (après avoir été une petite frappe dans « Le Corps de mon ennemi ») et s’en réjouit. « Dans les films de Belmondo, on pourrait croire qu’il n’y en a que pour Bébel ; c’est vrai dans une certaine mesure car les seconds rôles sont des faire-valoir de Bébel, mais il manifeste énormément de respect pour les acteurs avec qui il travaille. Il a une conception du domaine des seconds rôles qui, à mon avis, rejoint la mentalité des metteurs en scène américains. » Jean-Louis Richard (qui reviendra dans « Le Marginal »), Cyrielle Claire et Pierre Saintons (excellent en N’Jala) relèvent de cette « conception ». Quant à André Weber (un « régulier » de chez Lautner : « Les Barbouzes », « Le Pacha »…), son rôle de clochard échangeant ses vêtements avec Beaumont semble être une référence directe à « Ho ! » de Robert Enrico. A noter encore la présence de têtes familières comme Baaron (le président du tribunal), l’Africain au gong des émissions de Stéphane Collaro ; le culturiste antillais Serge Nubret (le médecin au procès), apparu dans plusieurs peplums dont « Les Titans » de Duccio Tessari ou l’ex-champion de boxe Maurice Auzel (un des flics chargés de filer la call-girl), grand ami de Belmondo à qui il donne régulièrement la réplique.



Morricone remix

Alors que la postproduction commence, Ennio Morricone est choisi pour composer la bande originale. En attendant qu’il débute son travail, Lautner choisit parmi quelques disques qu’on lui soumet un thème du musicien. Il est séduit par « Chi Maï », un morceau du film italien « Maddalena », réalisé par Jerzy Kawalerowicz en 1971. « J’ai monté le film avec ce disque. Après la première projection, tout le monde était emballé. Je vais à Rome. Morricone enregistre la nouvelle musique dans la couleur de « Chi Maï ». Je monte le film avec cet enregistrement. Projection : déception. Belmondo a dit, et tout le monde aussi : « Oh, oh, ça va pas ! ». J’ai remis le 45 tours. » René Château, qui est chargé de la publicité sur les films de Belmondo depuis plusieurs années, se souvient : « Nous avons sur-utilisé ce thème en le mettant sur tous les moments faibles du film. Une idée reprise du « Docteur Jivago » où le célèbre air de Maurice Jarre (« La Chanson de Lara ») revenait sans cesse en leitmotiv alors qu’elle ne représentait qu’un petit passage du film. Cela a été une des raisons principales de l’énorme succès du « Professionnel »… La musique masquait les trous du scénario… » Fait amusant, « Chi Maï » est également présent dans un feuilleton de la BBC, « The Life and Times of David Lloyd George » diffusé en Grande-Bretagne deux mois avant le début du tournage du « Professionnel ».


Mourir ou pas

A la sortie du film, Jean-Pierre Lavoignat évoque avec Jean-Paul Belmondo son projet de film sur le gangster Jacques Mesrine et lui demande : « Malgré votre image de marque, vous accepteriez de mourir comme ça ? » Ce à quoi la star répond : « Pourquoi pas ? » Il faut dire que « Le Professionnel » n’a pas été présenté à la presse et que la fin du film n’est donc pas encore connue… Mais la question s’est réellement posée à la production. Belmondo et Lautner étaient d’accord pour faire mourir Joss Beaumont alors qu’il se dirige vers l’hélicoptère, une fois N’Jala tué (par Farge). « Tout le monde était contre nous, rappelle Lautner. Notre raisonnement n’était pas faux. Nous faisions des films avec Belmondo en agitateur comique, sur le ton de la dérision, de la légèreté. La mort du héros donnait soudain une certaine gravité à ce cinéma de détente. Quand Alain Poiré est sorti de la projection privée, il a téléphoné à notre producteur du moment, Mnouchkine : « Sacha, si Belmondo meurt à la fin, vous perdez deux cent cinquante mille entrées sur Paris. » J’avais tourné une autre fin : Belmondo partait dans l’hélico avec une très jolie fille, Marie-Christine Descouard… Mais nous avons tenu bon. Belmondo se fait descendre, et on reste sur son cadavre avec la musique de Morricone. On en prend plein la gueule. »





[sources : « Première » n°55, n°60, « Ciné-news », « Starfix » n°13, « Robert Hossein » de Henry-Jean Servat (Editions du Rocher, 1991), « Belmondo » de Philippe Durant (Robert Laffont, 1993), « Georges Lautner foutu fourbi » de José Louis Bocquet (La Sirène, 2000), « On aura tout vu » de Georges Lautner (Flammarion, 2005)]