Il en parle à Blake Edwards, qui n’est pas plus emballé que lui à l’idée de tourner ce film. Mais il réfléchit quelques jours et trouve une solution : « Je n’ai accepté qu’à la seule condition de changer la construction du film en le centrant sur le personnage de Clouseau (…). C’était une échappatoire, sans doute un peu facile, mais la seule qui s’offrait à moi. En effet, quel que soit le scénario, quelles que soient les situations dans lesquelles on le place, je sais toujours – tellement je le connais – comment réagira Clouseau. Je peux donc l’intégrer à n’importe quelle histoire si j’ai la possibilité d’envisager les situations en fonction de sa présence centrale. »
Un coup de feu dans la nuit
À Broadway, la pièce se joue d’octobre 1961 à septembre 1962 au Booth Theatre avec Julie Harris, William Shatner (futur Capitaine Kirk de la série « Star Trek ») et Walter Matthau. « C’est devenu en anglais « A Shot in the Dark », raconte Marcel Achard, ce qui peut se traduire par « un coup de feu dans la nuit », mais qui signifie aussi « tenter de savoir quelque chose en disant quelque chose de faux », c'est-à-dire tirer au hasard dans l’espoir de provoquer une situation. » La pièce (adaptée par Harry Kurnitz) remporte un très grand succès. L’agence Associated Press évoque « une comédie hilarante et coquine, qui emprunte au vaudeville français et à l’intrigue à suspense ».
Blake Edwards n’est pas convaincu par cette opinion et s’embarque à bord d’un paquebot transatlantique avec le jeune scénariste William Peter Blatty (qui connaîtra la gloire en écrivant le roman « L’Exorciste »), pour réécrire la pièce. La contrainte théâtrale de l’unité de lieu est évacuée au profit d’une multiplication de décors (commissariat, manoir, camp nudiste, boîtes de nuit). Quant au juge d’instruction, il disparaît logiquement au profit de l’inspecteur Jacques Clouseau. L’adaptation libre de la pièce rendra furieux certains journalistes français à la sortie du film. « « L’Idiote » n’est certes pas la meilleure pièce de Marcel Achard, écrit Jean Rochereau dans « La Croix ». Tout de même, avait-on le droit de la considérer comme quantité négligeable au point d’en tirer, pour l’écran, « Quand l’inspecteur s’emmêle ? » » Oh oui, sans doute.
La famille Clouseau
Burt Kwouk interprète Cato, le domestique de Clouseau. Né à Manchester en 1930, il part à l’âge d’un an avec sa famille à Shanghai, où il grandit. Il s’installe à Londres à la fin des années cinquante et fait plusieurs petits métiers, dont de la figuration. Il n’a alors pas l’ambition de devenir acteur mais il est remarqué et obtient des petits rôles au cinéma (« L’Auberge du Sixième Bonheur », « Une histoire de Chine ») et à la télévision (« Destination Danger », « Chapeau Melon & Bottes de Cuir »). « J’étais bien connu de la profession mais pas du public », explique-t-il. A l’automne 1963, Burt Kwouk reçoit un coup de téléphone qui va changer sa vie et sa carrière. « On m’a demandé si je pouvais me rendre au studio pour rencontrer Blake Edwards. Nous avons parlé pendant vingt minutes, pas du film mais de sujets divers. Il m’a donné le script et j’ai eu le rôle. » Cato attaque Clouseau dans son lit (même quand il est en galante compagnie) ou dans sa baignoire, et son acharnement au travail n’est interrompu que par la sonnerie du téléphone. Ses scènes sont donc très physiques, même si elles n’atteignent pas encore le délire des films ultérieurs. « Sur « Quand l’inspecteur s’emmêle », j’étais jeune et agile, et j’ai donc pu faire mes propres cascades. »
Enfin, beaucoup moins marquant mais tout aussi présent : François, l’adjoint du commissaire Dreyfus. Il est l’un des rares, avec son supérieur, à connaître la véritable nature de Clouseau. Il est incarné par le seul Français présent dans la série des « Panthère Rose », André Maranne, dont la carrière s’est déroulée exclusivement en Angleterre. On a pu le voir incarner le « Frenchy » de service dans « Opération Tonnerre », « Les Filles de l’Air », « La Bataille d’Angleterre », « Gold » ou encore « Darling Lili » réalisé par Blake Edwards.
A la recherche du gag
Blake Edwards tourne quelques plans à Paris (rue Caulaincourt et à Pigalle), et filme l’extérieur du manoir Luton Hoo dans le Bedfordshire, censé représenter la maison de M. Ballon. Le reste du film est tourné aux studios MGM de Borehamwood, près de Londres. L’ambiance est des plus agréables. Les acteurs jouent au billard entre deux prises, George Sanders se met du piano et chante des airs d’opéra.
Et les suggestions sont nombreuses. Ainsi, lors de la scène où Clouseau se coince la main dans la mappemonde, Sellers improvise la réplique : « Regardez, j’ai toute l’Afrique dans le creux de la main, maintenant ! » Dans le film, la scène est coupée juste avant l’éclat de rire de Sellers et Stark (on le devine d’ailleurs sur le visage de ce dernier). À la fin du film, lorsque Clouseau et Hercule décident de synchroniser leurs montres, rien d’autre n’est écrit dans le scénario. Blake Edwards leur demande d’improviser un dialogue. Une seule prise suffit et la scène est hilarante.
Peter Sellers provoque aussi les rires de ses partenaires avec son accent français. A tel point que George Sanders (qui joue M. Ballon) suggère de mettre cinq Livres dans une boîte à chaque gloussement. La somme récoltée à la fin du tournage est conséquente et l’acteur britannique propose de la verser aux propriétaires d’une ferme délabrée, près des studios de Borehamwood, où de vieux chevaux sont laissés à eux-mêmes en attendant la mort. « C’est à ce moment que j’ai pris conscience de l’humanité et de la générosité de George », se souvient Elke Sommer. Mais Blake Edwards applique une autre règle lors du tournage d’une des dernières scènes du film, où Clouseau rassemble tous les occupants de la maison. Sa prononciation du mot « moth » (mite) à la française, « mirth » (mitre), fait éclater de rire l’ensemble des acteurs. C’est un vendredi après-midi et Edwards veut terminer la séquence, afin de démarrer sur autre chose le lundi suivant. Il sort quarante Livres de sa poche et prévient que le prochain fautif doublera cette somme, qui servira à payer une tournée de bière à l’équipe. Sellers est le premier à perdre. Puis le deuxième. Le prochain éclat de rire coûtera cent soixante Livres, ce qui fait réfléchir les comédiens et les pousse à une certaine concentration. Mais Sellers n’y tient plus et obtient d’Edwards de remettre le tournage à la semaine d’après.
Lors de la séquence où Clouseau et Maria Gambrelli s’enfuient en voiture d’un camp nudiste dans le plus simple appareil, Elke Sommer doit faire face à un problème délicat et inédit. Jouant l’hystérie, elle mord l’épaule extrêmement velue de Peter Sellers et se retrouve avec un poil entre les dents ! Hésitant à s’en débarrasser en pleine prise, elle décide d’attendre le « Coupez ! » de Blake Edwards…
« Quand l’inspecteur s’emmêle » sort en juin 1964, trois mois après « La Panthère Rose », et impose définitivement l’inspecteur Clouseau comme un des personnages comiques de l’écran les plus populaires. Malgré cela, il faudra attendre dix ans pour que Peter Sellers l’interprète à nouveau…
[texte paru dans mon livre « Pleins feux sur… la Panthère Rose », édité chez Horizon Illimité (Dragoon) en 2005]
[sources : « Les Cahiers du Cinéma » n°166-167, « La Croix » du 19 mars 1965, « The Independent » du 18 décembre 2004, « Page Théâtre » du 22 avril 1962, « Remembering Peter Sellers » de Graham Stark (Robson Books, 1990), « George Sanders an exhausted life » de Richard Vanderbeets (Robson Books, 1991) et le témoignage de Burt Kwouk]
1 commentaire:
Salut Philippe..... Comme certains, j'ai découvert ton blog via celui (tout aussi passionnant) de Jérôme (Forgotten silver)...
A nouveau, un vrai régal pour le cinéphile que je suis.... Bravo encore pour tout et continue comme ça.... J'attends avec impatience la suite....
Et un blog favori.... un... !!!
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