lundi 21 avril 2008

Zorro (1975)

Après une succession de films oeuvrant dans des genres et des styles très différents (« Traitement de choc », « Les Granges brûlées », « Big Guns », « Deux hommes dans la ville », « Les Seins de glace », « Borsalino & Co »), Alain Delon change encore de cap en 1974. « Je voulais m’offrir le plaisir d’un film dynamique, tonique même, physiquement, sans toute la panoplie d’hémoglobine des policiers. C’est mon fils qui m’en donna l’idée. Zorro est son héros préféré. Depuis « La Tulipe noire » il y a dix ans, je n’avais pas fait de cape et d’épée. Le vengeur masqué et les rebondissements inattendus de ses vertueuses aventures me tentaient. Je pensais aux chevauchées exaltantes, aux duels, aux situations roses et teintées d’humour, à tout ce qui fait vibrer les petits et rêver les grands. »

Une coproduction franco-italienne se met en place, chapeautée par les Artistes Associés, et le scénariste Giorgio Arlorio (« Queimada », « Il Mercenario »…) se met au travail. Il semble évident qu’il est énormément influencé par la série TV produite par Walt Disney et interprétée par Guy Williams. Il reprend ainsi les personnages du sergent Garcia et de Bernardo, qui n’étaient apparus dans les écrits de Johnston McCulley que dans les années quarante (et n’apparaissaient donc pas dans les multiples adaptations réalisées depuis 1920). Le choix du comédien fantaisiste Moustache pour le rôle de Garcia est significatif car sa ressemblance avec le sergent de la série (interprété par Henry Calvin) saute aux yeux. Il en avait d’ailleurs déjà joué en revêtant le costume du personnage pour interpréter en 1972 à la télévision une chanson consacrée à Zorro (« Tu fais la guerre au gros sergent Garcia / Qui n’en peut plus de courir après toi / Il gesticule au milieu des soldats / Nous savons bien que tu l’aimes bien / Zorro, toi notre idole / Champion de la justice et du bon droit… »).

Le grand acteur anglais Stanley Baker (« Les Criminels », « Train d’enfer », « L’Enquête de l’inspecteur Morgan », « Les Canons de Navarone ») incarne le méchant colonel Huerta, tandis que Ottavia Piccolo est, une nouvelle fois, la partenaire d’Alain Delon après « Le Guépard » et « La Veuve Couderc ».



Le tournage se fait en anglais en Espagne (aux alentours de Madrid) à partir de juillet 1974 avec une équipe 100% italienne… enfin presque, puisque les cascadeurs sont français, espagnols et italiens. Et le maître d’armes Yvan Chiffre (déjà doublure de Delon sur « La Tulipe noire ») a bien du mal à les diriger. « La première prise de contact entre les cascadeurs est très chaude –surtout du côté des Latins. Nous sommes tous à table quand un Italien fait une réflexion sur Franco, le dictateur espagnol, toujours au pouvoir à cette époque. Aussitôt les Espagnols se lèvent de table, et l’affaire se termine à coups de poing derrière un camion. Le lendemain, je mets les choses au point : ‘Si on commence à avoir des susceptibilités, le tournage va devenir infernal. Personne ne le souhaite. Donc, pour moi, c’est très clair : soit je ne travaille qu’avec l’équipe française, et vous vous débrouillez, soit on essaie de fonctionner ensemble, en se partageant le travail.’ » Les Espagnols sont donc responsables des cascades à cheval, les Italiens des chutes de hauteur et des acrobaties et les Français des combats à l’épée. Mais l’harmonie n’est que de façade et un cascadeur italien se fera piétiner par les chevaux de gitans espagnols un peu susceptibles…

Le célèbre photographe Jacques-Henri Lartigue vient couvrir le tournage quelques jours. Prend-il sa revanche sur « Borsalino » ? En effet, sur le plateau du film de Jacques Deray, le chargé de publicité René Chateau lui avait interdit de prendre des photos… Delon, en tous cas, l’accueille à bras ouverts. « J’ai été ravi quand on m’a annoncé la venue de Jacques-Henri Lartigue puisqu’il m’a fait l’honneur de venir sur le plateau de « Zorro » pour me photographier. Je considère ça comme une chance et comme un honneur de la part de ce grand artiste, car c’est un grand artiste. »

Douze ans plus tard, Duccio Tessari décrira sans enthousiasme un tournage par trop conventionnel : « (C’était un film) tourné pour Alain Delon ; je savais ce que je devais tourner, c’était carré, professionnel, tourné en Espagne et pendant quatre semaines en studio à Rome. » Pourtant, il semble bien que le plan de travail a été quelques peu bouleversé… A la sortie du film, « Le Film français » assure que « les dépassements sont dus en partie au soin extrême apporté à la mise en scène. » Selon Yvan Chiffre, l’explication est tout autre. Il est un jour convoqué par Delon dans sa caravane où l’attend également le producteur Lombardo. Celui-ci lui demande comment le film peut être sauvé… Devant l’incompréhension du cascadeur, Lombardo s’explique :

« Le film qu’on est en train de faire, ça ne va pas du tout. En fait, c’est Alain qui m’a conseillé de venir nous voir. Pour l’instant, nous avons un film un peu mièvre, avec un peu d’humour et pas mal de longueurs. Ça ne risque pas de s’arranger. Je pense que Duccio Tessari est en train de foutre mon film par terre. Alors ?
-Je ne sais pas…
-Alain m’a dit que vous aviez des idées… Par exemple, je voudrais un duel final extraordinaire… (…) Je voudrais que vous fassiez un duel comme « Scaramouche ».
-Ce n’est pas possible. Le duel de « Scaramouche » a été tourné dans un théâtre, avec un décor spécialement conçu. Le tournage a duré un mois, avec des doublures et les acteurs : ils avaient décidé d’en faire une sorte de masterpiece, quelque chose comme un grand numéro de music-hall à la fin du film.
-C’est exactement ce qu’il me faut. Vous en aurez les moyens. Je vous envoie à Rome voir M. Bulgarelli, le décorateur. Vous lui demanderez exactement ce que vous voulez construire. Je veux un duel gigantesque à la fin de mon film.
»


La construction des décors (cour, couloirs, bibliothèque, escalier, clocher, tour…) prend trois semaines et après des répétitions avec les acteurs et les cascadeurs, le duel est tourné comme Yvan Chiffre l’a imaginé : plein de fougue et d’inventions. Zorro et Huerta s’affrontent à coups d’épées, de haches, de lances et même de torches. La scène durera dix minutes à l’écran.

Le film sortira en mars 1975 en France avec une campagne publicitaire sans précédent. Vingt ans plus tard, Alain Delon faillit bien revêtir de nouveau le masque du justicier masqué. Martin Campbell est alors à la recherche d’un acteur pouvant incarner un vieux Zorro (avant qu’un jeune ne prenne le relais), pour « Le Masque de Zorro » : « J’ai pensé à lui parce qu’il avait le bon âge, qu’il était bon acteur et qu’il avait le cynisme adéquat pour le rôle. Je l’ai donc appelé et suis tombé sur sa femme. Il jouait au théâtre à ce moment-là. J’ai envoyé le scénario, téléphoné encore et encore… et n’ai jamais parlé qu’à sa femme. » Anthony Hopkins interprétera finalement le rôle…


[sources : « Le Film français » n° 1569, « Impact » n°5, « Première » n°260, « Le Piège à l’œil » (Pathé, 1974), « Alain Delon » de Philippe Barbier (PAC, 1982), « A l’ombre des stars » de Yvan Chiffre (Denoël, 1992), « Zorro Unmasked » de Sandra Curtis (Hyperion, 1997)]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très intéressant, une nouvelle fois ! Surtout en ce qui concerne les querelles entre les différents groupes de cascadeurs. Mais malgré tout, je n'en démords pas : vive Plantin et vive la Tulipe Noire :-D