vendredi 28 mars 2008

L’Aile ou la cuisse (1976)



Un soir de 1975, Claude Zidi dîne avec des amis au Petit Colombier. « Le garçon me demande à propos d’un poulet : « L’aile ou la cuisse ? » J’ai trouvé que ça ferait un bon titre de film. Avec des amis, nous avons lancé la conversation sur le guide Michelin et sur la ‘malbouffe’ qui commençait à sévir. Ainsi sont nés Duchemin et Tricatel, amalgame entre Borel, l’inventeur des restoroutes, et Ducatel, candidat farfelu aux présidentielles. » Zidi écrit le scénario avec Michel Fabre et rêve de donner le rôle du gastronome Charles Duchemin à Louis de Funès. Mais victime d’une crise cardiaque le 21 mars 1975, alors qu’il devait débuter le tournage du « Crocodile » de Gérard Oury, l’acteur est depuis en convalescence. Affaibli, diminué, amaigri, la rumeur court selon laquelle il ne tournera plus.

Mais le producteur Christian Fechner, alors âgé de 33 ans, en décide autrement. « Pour moi, il était inenvisageable qu’il ne tourne plus et puis j’attendais depuis trop longtemps de tourner avec lui, c’était mon rêve de producteur. Et bien que le médecin des assurances ne nous ait laissé aucun espoir, je suis allé voir le grand patron des assurances de l’époque. Comme j’étais assez jeune et assez inconscient, je l’ai un peu agressé en lui disant qu’il ne pouvait pas décidé comme ça, du jour au lendemain, qu’un homme tel que De Funès ne tournerait plus jamais ! » Il n’obtient que deux semaines de tournage d’assurées, mais cela suffit pour lancer la machine. Zidi ne sera payé que si le film est terminé et les techniciens acceptent de signer des contrats renouvelables de semaine en semaine.

Assez tôt sur le projet, le rôle du fils de Duchemin est destiné à Pierre Richard, avec qui Zidi a déjà tourné « La moutarde me monte au nez » et « La Course à l’échalote ». Mais un mois et demi avant le début du tournage, l’acteur rompt son engagement. « J’ai été déçu par mon rôle, expliquera-t-il plus tard. J’ai senti que si j’acceptais, j’aurais eu l’impression d’aller à l’usine. Et Dieu sait que j’avais envie de tourner avec De Funès ! Mais si le rôle ne me dit rien, je ne peux pas, même si c’est un coup commercial énorme. (…) Louis m’a téléphoné et m’a demandé pourquoi je refusais. Je lui ai répondu que je me faisais une joie de tourner avec lui, mais que je ne voulais pas interpréter ce rôle. Et il me dit « ah bon, le scénario est mauvais ? » Là, je me suis dit qu’il n’avait pas dû le lire. Parce que lui, il savait qu’il se débrouillerait toujours, quelque soit la qualité de la scène, grâce à son talent énorme. Moi je n’avais pas cette faculté. Pour faire rire, j’ai besoin d’une situation. Je ne suis pas capable de lire le bottin en faisant rire. »




Il faut donc lui trouver un remplaçant et Zidi pense rapidement à Coluche, à qui il a donné un petit rôle dans « Le Grand Bazar » en 1973. Le comique triomphe alors sur scène et il n’a jusqu’à présent partagé d’autre affiche que celle des « Vécés étaient fermés de l’intérieur » de Patrice Leconte. Coluche est aux anges, car il vénère Louis de Funès. Reste à convaincre ce dernier. « Je me suis rendu dans son château, près de Nantes, se souvient Claude Zidi. Là, je suis tombé sur sa femme. Sceptique, elle trouvait Coluche vulgaire. Puis arrive De Funès, qui hésite. Surgit alors son fils Olivier qui « emballe » l’affaire : « Ce serait formidable ! Et puis, papa, il est plus drôle que toi ! » » (rires)

Coluche amène avec lui sa « bande », parmi lesquels Martin Lamotte, Gérard Lanvin, Bouboule, Marie-Anne Chazel (tous quatre membre du cirque) et Bruno Moynot (le responsable du tourne-disques). De son côté, Louis de Funès impose Claude Gensac contre l’avis de Claude Zidi qui l’affuble de grosses lunettes et d’une perruque (pour qu’on ne l’assimile pas immédiatement à « la femme de De Funès »). Des partenaires de connaissance comme Dominique Davray (son épouse dans « Le Tatoué »), Max Montavon (le majordome dans « Fantômas contre Scotland Yard ») et Marcel Dalio (le « vrai » Rabbi Jacob) complètent la distribution des seconds rôles tandis que Julien Guiomar interprète avec truculence Jacques Tricatel (le rôle le rendra très populaire : « Je ne peux pas rentrer dans un restaurant sans qu’on me dise ‘J’espère que ça sera meilleur que chez vous, monsieur Tricatel’ ! (rires) »).

Le tournage débute en mai 1976 dans un hangar aménagé près de Trappes car aucun des studios parisiens n’est disponible. Une ambulance et un cardiologue sont là en permanence au cas où… Les journées de travail commencent à 9 heures pour se terminer tôt dans l’après-midi, afin de ménager la star. « En vérité, tout était permis, raconte Fechner. Il fallait éviter d’user et d’abuser du fantastique tempérament de Louis, ne pas lui faire répéter trente-six fois la même scène, trente-six fois les mêmes colères. Bref, il fallait une extraordinaire préparation d’avant-tournage. Je savais qu’avec Zidi, il n’y aurait pas de problème et rien à craindre… »

Les relations entre De Funès et Coluche sont excellentes, ils apprécient de se faire rire l’un l’autre (une scène de cirque où ils sont tous deux maquillés en clowns sera coupée au montage). La mort est même devenue un gag entre eux. « Quand parfois j’arrivais en retard à un rendez-vous, se souvient Coluche, et le priais de m’excuser, j’avais une phrase toute prête à son intention : « Louis, je ne me pensais pas en retard. Je n’avais pas vu votre ambulance au bas de la maison… » L’après-midi, De Funès commençait par faire une petite sieste avant de reprendre le tournage. Un jour, je m’étais déguisé en ange et j’étais parti le réveiller dans sa loge… « Louis, Loulou, vous êtes mort… Vous êtes au ciel… » Il ouvre un œil, simule une fausse colère, puis son visage s’illumine : « Michel, si vous continuez, vous allez effectivement me faire mourir. Mais de rire… » »

L’hôtel particulier de Charles Duchemin se situe dans une cour du 5 place d’Iéna (un an plus tard, un épisode de « Chapeau melon & bottes de cuir » sera tourné au même endroit, « Le Lion et la Licorne »). Le reste du tournage se déroule à La Défense (la tour Manhattan, la brasserie « Le Tourbillon »), Puteaux (rue Marius Jacotot, rue Anatole France, mairie), Dampierre (dans les Yvelines) et au restoroute de Rungis (sur l’A106).

Les prises de vues dureront finalement douze semaines et tout se passera pour le mieux…



[sources : interview de Christian Fechner dans le DVD de « L’Aile ou la cuisse » (Studio Canal, 2002), interview de Pierre Richard sur http://www.dvdrama.com/ (décembre 2005), interview de Claude Zidi dans « Ciné-Live » n°48, interview de Julien Guiomar dans « Féminin présent » du 7 octobre 1980, http://home.nordnet.fr/~anastasiya.petit/ pour les lieux de tournage, « Le Journal du Dimanche » du 17 octobre 1976 et du 30 janvier 1983]

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Une nouvelle fois un article des plus intéressants. Un vrai bonbon ce blog :-)

Philippe Lombard a dit…

Bon ben, je continue alors ?... ;-)

Anonyme a dit…

La question ne se pose même pas :-D

Anonyme a dit…

Ah là là, L'aile ou la cuisse, que de souvenirs, je me souviens l'avoir vu au cinéma étant très jeune ( probablement à sa sortie, donc à 4 ans ! ). Merci encore pour ces très intéressantes anecdotes !

Anonyme a dit…

Merci pour cet article dont j'ai pris connaissance grace au site defunes.org.

D'autres histoires de tournages sont-elles prevues pour Louis de Funes ?

Joseph

Philippe Lombard a dit…

non, pas pour l'instant, mais un jour peut-être... Il faut dire que beaucoup de films de De Funès ont déjà été traités (DVD, livres...).

Chris 66 a dit…

Je viens, avec grand plaisir, de découvrir ce blog. Félicitations pour cet article. Je me précipite pour lire d'autres pages ! :-)

Anonyme a dit…

C'est Pierre Richard qui a soufflé le nom de Coluche à DeFunès.

Philippe Lombard a dit…

Pas d'après ce qu'en disent le producteur Christian Fechner et le réalisateur Claude Zidi...

Anonyme a dit…

Bonsoir Philippe. Je découvre votre blog très original. J'adore De Funès et L'Aile ou la Cuisse est l'un de mes préférés. Votre article est très intéressant. Si, et vous le dites très justement, l'entente entre De Funès et Coluche était parfaite, et cela se voit, le rapport avec Marcel Dalio semble beaucoup moins bon, je trouve. Bonne soirée !

Philippe Lombard a dit…

merci Garance !
Pour ce qui est de Dalio, ça ne m'a pas frappé, peut-être est-ce dû simplement aux rapports entre les personnages.